Bébés donneurs :
la
sélection est interdite,
mais elle est autorisée
Bienvenue au pays de Descartes !
Dans la même journée, les députés transforment les pratiques eugéniques visant à la sélection des personnes en crime contre lespèce humaine, tout en autorisant la sélection des embryons afin de faire naître un enfant porteur de certaines caractéristiques bénéfiques. De deux choses lune : les mots ont perdu leur sens ou les députés leur raison Quoiquil en soit, les lois de bioéthique apparaissent de plus en plus pour ce quelles sont : une usine à gaz reflétant les contradictions de leurs auteurs successifs en même temps quune machine de guerre contre les libertés individuelles.
Pour les malades et leurs familles, la nouvelle est bonne : le Parlement français a accepté dans la nuit du 10 au 11 décembre 2003 le principe des bébés donneurs , appelés bébés médicaments par leurs détracteurs, bébés de lespoir par leurs défenseurs (en loccurrence, lexpression vient du rapporteur de lAssemblée nationale).
Le principe est simple. Si un couple a donné naissance à un enfant atteint dune maladie grave, il pourra pour la naissance suivante faire appel au diagnostic pré-implantatoire (DPI). Concrètement, ce couple produira plusieurs embryons viables, ceux-ci feront lobjet de tests génétiques et seuls les embryons sains seront réimplantés dans lutérus de la mère. Ainsi, non seulement le bébé à naître sera exempt de la pathologie de son frère ou de sa sur, mais il pourra même participer à sa guérison, notamment grâce aux cellules-souches prélevées dans son cordon ombilical (et a priori compatibles).
Au cours du vote, M. Mattei ne sest pas prononcé sur le fond, mais a parlé à juste titre de rupture . Ce qui est dabord rompu, cest la cohérence même des lois de bioéthique, et cela sur deux points : lutilisation des cellules-souches, la sélection des personnes (eugénisme).
A la suite des pressions efficaces de parlementaires conservateurs, les lois de bioéthique ont retenu le principe de linterdiction de la recherche sur lembryon, notamment de linterdiction du clonage thérapeutique des cellules-souches embryonnaires. Or, par cette nouvelle disposition des bébés donneurs , on autorise implicitement la naissance dun bébé (et non la simple manipulation de cellules) sélectionné comme médicament potentiel de son aîné. Et ce sont les mêmes qui parlent avec horreur de linstrumentalisation du vivant tout en se plaignant que le grand public ne comprenne pas clairement les enjeux bioéthiques. Ce que le grand public va en revanche très vite comprendre, cest la totale incohérence de ses élus.
La seconde rupture, plus nette encore, concerne la sélection de personnes, cest-à-dire leugénisme. Au même titre que le clonage, la sélection est considérée comme un crime contre lespèce humaine passible de 20 ans demprisonnement (30 en bande organisée) et 7,5 M euros damende. Or, dans le même temps, lamendement des bébés donneurs avalise cette même sélection. En effet, produire plusieurs embryons, les tester génétiquement, conserver les sains et détruire ou congeler les malades, cest très exactement opérer une sélection en vue de faire naître une personne porteuse de qualités plutôt que de défauts (la double qualité dêtre sain et dêtre donneur, en loccurrence). Les experts en casuistique pourront toujours se cacher derrière leur petit doigt et remplacer le mot sélection par un autre (tri, choix, etc.). Mais cela ne trompe personne. Changer les mots na jamais changé la réalité. Et la mauvaise rhétorique nétouffe pas le bon sens.
Les défenseurs du texte argueront bien sûr que celui-ci permet déviter les dérives , dencadrer strictement le DPI et la sélection embryonnaire, qui seront désormais soumis à lapprobation de la nouvelle Agence de biomédecine. Cest bien cela qui est grave. Les lois bioéthiques instaurent leugénisme public tout en confisquant aux individus la liberté de choix sur leurs enfants à naître. La France perpétue de la sorte sa longue tradition de dictature administrative, le monolithisme dEtat refusant de reconnaître le pluralisme de la société. Dans le domaine biomédical comme en bien dautres, cela annonce des lendemains qui déchantent