Exécution sommaire


Cher Axel Jacquard, Cher Albert Kahn,

Euh, pardon,

Cher Albert Jackahn, Cher Axel Quard,

Zut, non… enfin,

Chers Albert et Axel,

 

Le désir de vous lire ne procède pas d’un conseil d’ennemi de la POF (pensée officielle française), comme ce fut le cas pour Guillebaud, mais d’un pur hasard.

Avec l’ami Azi-Muté, en douce compagnie de deux Mutantes anonymes, nous nous promenions dans une grande librairie parisienne, le cœur rempli d’allégresse, l’âme de spiritualité et le sang de spiritueux. Au rayon des essais, les piles majestueuses s’affrontaient sur les tables pour attirer le chaland, dans une fascinante lutte pour la survie darwinienne. Azi-Muté me tira par la manche pour me désigner l’une de ces piles. Couverture alléchante : Albert Jacquard, Axel Kahn, “ L’avenir n’est pas écrit ”. L’audace et l’originalité de la proposition contenue dans ce titre nous firent vaciller un moment.

En retournant l’essai pour contempler la quatrième de couverture, je fus définitivement séduit.

D’abord la photo. Vous, mon cher Axel, avec votre jolie chemise Vichy, votre frimousse éclairée de gendre idéal, vos fines lunettes d’humaniste sincère, votre large front d’expert engagé, votre sourire d’homme bon, si bon que vous ressemblez parfois à un curé de campagne égaré dans le monde cruel de la science médiatique… Et vous, Albert, avec l’inimitable grimace qui vous sert de sourire et vous fait tant ressembler à un adorable macaque rhésus, votre folâtre barbiche de nain savant et grognon à la fois, vos yeux si plein d’amour pour le genre humain (le droit) et de haine pour les ennemis dudit genre humain (le gauche), votre chemise Tati piquée dans un squat du Droit au logement…

Ensuite le texte de cette quatrième de couverture. Ouverture magistrale : “On les connaissait tous deux pour leur engagement en faveur d’une science à visage humain… ”. Cette première ligne aurait suffi à vaincre toute réticence. Mais je lis encore : “ On ne les savait pas si différents sur beaucoup de points ”. Cet aveu est tellement vrai : à force de vous entendre dire toujours la même chose sur le même ton et dans les mêmes médias, on avait presque oublié que des hommes se cachaient encore derrière le masque des clones socio-idéologiques de la médiocratie. Et puis, l’éditeur en rajoute une louche pour convaincre les derniers indécis : “ On l’achève [le livre] avec le sentiment d’avoir été admis dans l’intimité de deux grands savants humanistes ”. Ce qui vaut tout de même son pesant de cacahuètes. Pour être plus précis, cette intimité coûte 13,90 euros, 91,20 F. Bien moins cher qu’une passe - en plus, il m’a fallu 117 bonnes minutes pour perforer votre intimité, de sa première à sa dernière feuille…

Venons-en aux choses sérieuses, c’est-à-dire les 254 pages de sermons que Bayard, éditeur catholique par accident mais humaniste par essence, a décidé de publier.

Malgré les promesses de dissensus annoncées en quatrième de couverture, il n’existe guère qu’un seul point de désaccord entre vous : Albert défend le clonage thérapeutique et même reproductif, quand Axel le refuse tout net.

Argument d’Albert : si un couple en détresse n’a pas d’autres moyens pour se reproduire, pourquoi pas ? Et puis, Albert est tellement persuadé que les gènes ont une influence minime sur les individus que deux clones sont à ses yeux presque comme deux étrangers. Où l’on voit les vertus inattendues de vices idéologiques poussés à l’absurde… Réponse offusquée d’Axel : “ La philosophie selon laquelle un projet ne peut être jugé qu’en fonction de sa finalité, en d’autres termes l’idée que la fin justifie les moyens, est pour moi une abomination absolue ” (p. 189). Or, cher Axel, vous précisez pourtant quelques pages plus loin (p. 195) : “ En arriver à mettre en balance les objections soulevées par certains moyens, sans les nier, avec les bienfaits escomptés des fins, c’est en effet la dure réalité de l’éthique au quotidien ”. On devine que vous côtoyez l’abomination absolue tous les jours et on en frémit pour vous.

Mais cher Axel, il faut être honnête avec Albert, que vous avez paralysé dès le départ de la discussion sur le clonage, en page 190, par une référence appuyée au communisme comme monstrueuse idéologie de la fin-sacrifiant-les-moyens (vous saviez bien que Bébert fut compagnon de déroute de cette idéologie-là). Vous auriez dû reconnaître que le brave homme ne disait pas autre chose que vous. A ses yeux, le bienfait escompté (mettre fin à la souffrance d’un couple stérile) l’emporte simplement sur les objections de moyen (utiliser la technique du clonage reproductif). Quant à votre propre raisonnement, cher Axel, il ne nous dit rien sur le moment où le rapport fin/moyen bascule de l’ “ abomination absolue ” vers la “ dure réalité de l’éthique au quotidien ”. Et pour cause : ce moment est suspendu à votre appréciation personnelle, elle-même déterminée par la sensibilité médiocratique du moment. En termes plus crus, votre “ éthique au quotidien ” relève de la girouette : vous sucez votre index, le pointez vers le ciel et déterminez ainsi dans quel sens souffle le vent dominant. Aujourd’hui, vous êtes contre le clonage ; demain, vous le soutiendrez. Dans les deux cas, votre position sera assortie de tous les vertueux superlatifs nécessaires à l’accréditation de votre bonne foi.

J’en veux pour preuve les distinctions jésuitiques que vous opérez lorsqu’il est question des embryons. Vous parvenez ainsi à justifier que les chercheurs travaillent à partir d’embryons surnuméraires (abandonnés sans projet parental, après une fécondation in vitro) tout en refusant qu’ils utilisent des embryons produits par clonage thérapeutique. Si l’on vous en croit, “ utiliser [un tel embryon surnuméraire] lui offre même l’occasion d’une nouvelle proximité avec un projet humain qu’il n’aurait pas eu sans cela ”. La fréquentation des évêques, des rabbins et des imams du Comité d’éthique vous a doté d’un solide diplôme en jargonnage consensuel. Pour mémoire, les embryons dont vous parlez représentent au maximum quelques centaines de cellules agrégées, le plus souvent moins d’une douzaine : il est certain que la “ proximité avec un projet humain ” leur fera un bien fou quand la pipette du chercheur viendra leur titiller le nucléus ! Quant aux parents qui avaient oublié le divin embryon dans le frigo, il ne fait aucun doute non plus que la “ proximité ” de leur avorton décongelé avec un “ projet humain ” vaudra certificat de bonne conscience pour l’éternité.

Pour finir avec ce chapitre clonal et embryonnaire, je vous signale amicalement, mon cher Axel, que certains de vos propos s’y situent à la limite de la dérive, voire de l’Indicible. Ainsi, pour justifier votre refus du clonage à la lumière de l’absolue singularité de tout être, vous écrivez : “ Chez l’homme, la sexualité et le couple incarnent ce lieu presque magique où s’éprouve l’altérité au quotidien. Il est au cœur de la condition humaine que l’homme s’accouple avec un être différent, la femme, dans le but de concevoir un être tout aussi différent, l’enfant ” (p. 190).

Le sens de votre propos est effarant. Car cette phrase, cher Axel, signifie tout simplement que l’homme s’accouplant avec un homme reste étranger à l’altérité au quotidien de la condition humaine. En d’autres termes, vous commettez le péché d’HO-MO-PHO-BIE. Sur l’échelle de Richter de la sensiblerie moderne, cette homophobie est certes un peu moins grave que la xénophobie, mais elle est tout de même plus inquiétante que la claustrophobie. Repentez-vous, Axel, ou vous serez un jour excommunié par l’Eglise cathodique.

 

Petit divertissement entre deux sujets sérieux :

Les délires de Bébert et les kahneries d’Axel
(première partie)

Bébert contre les maisons closes : “ Un ingénieur qui loue son intelligence ne vaut guère mieux qu’une putain qui loue son sexe ! Ce n’est pas le même organe, mais au fond, c’est la même attitude ! ” (p. 61).

Axel devient prophète : “ D’abord, la loi dit la règle et la règle c’est : “Tu ne tueras pas”, tout comme l’édictent les textes religieux ” (p. 56. On admirera le pluriel).

Bébert est un subtil exégète : “ La Bible n’est pas un ouvrage scientifique, mais ceux qui l’ont rédigée avaient perçu que l’homme présentait un caractère très particulier ” (p. 141).

Axel hiérarchise les races sur base de leurs capacités… sportives : “ Il existe probablement des aptitudes différentes suivant les groupes ethniques. Est-ce raciste d’affirmer par exemple que certaines ethnies font preuve d’une plus grande aptitude sportive que les autres ? Non, si cela est vrai, cela n’est pas du racisme ! Les Noirs ont en moyenne un plus grand nombre de globules rouges que les Blancs ” (p. 164).

Bébert n’a pas de cœur : “ Essayons d’être clair : je n’ai aucun respect particulier pour un spermatozoïde, ni pour un ovule ” (p. 185).

Axel révise Mendel : “ Lorsqu’un vrai jumeau est extrêmement brillant, il est exceptionnel que son frère soit un cancre absolu. Mais de là à dire que les dons se transmettent de père et de mère en fils et en fille de manière héréditaire, c’est un pas qu’il ne faut pas franchir ” (p. 103).

Bébert plane en conférence : “ Ils me regardent et j’ai le sentiment d’être un médium ” (p. 119).

Axel et les 40 voleurs : “ Dans certaines situations, je comprends que, compte tenu du caractère attractif de ce que je possède, certaines personnes déshéritées puissent m’en dépouiller ” (p. 252).

Bébert a ses méthodes : “ L’idée même de donner une note me paraît stupide ! Affirmer qu’une copie vaut 12, 15 ou 19 sur 20 ne veut rien dire ! … En ce qui me concerne, j’applique cette méthode avec mes élèves de l’école universitaire d’architecture de Lugano, en Suisse, auxquels j’enseigne l’humanistique [sic !] ” (p. 247).

 

La première partie de votre livre présente une discussion sans grand intérêt sur le thème : qu’est-ce donc que la vie ? qu’est-ce donc que la mort ? Je fais grâce à nos lecteurs de sa critique, dans la mesure où vous enfilez l’un comme l’autre des perles pâles sur un commun collier. Ce plat de résistance permet juste de mesurer le rapport de force. Vous, cher Albert, commencez à juste titre par considérer le gène comme l’unité fondamentale du vivant. Mais en cinq pages et dix minutes de palabres, ce dur Axel vous fait changer d’opinion : la vie commence maintenant avec la cellule. Vous auriez pu demander à votre interlocuteur comment une cellule se réplique sans gènes. Mais apparemment, vous avez flairé que la définition cellulaire d’Axel correspond mieux à l’objet principal du débat.

Cet objet, qui forme le grand thème de votre ouvrage, est la lutte contre le redoutable, l’abominable, l’épouvantable, l’insupportable, l’innommable, le détestable, l’irrécupérable, l’inqualifiable “ déterminisme génétique ”. Soit la deuxième partie, qui se prétend une critique définitive de la sociobiologie, de la psychométrie et de la génétique du comportement ; plus un morceau de la troisième, qui aborde la douloureuse, la malheureuse, la ténébreuse, la scabreuse, la fameuse, l’ensorceleuse question de l’eugénisme. Comme vous êtes sensiblement d’accord sur ces sujets, votre débat se transforme vite en monologue à deux voix. Une sorte de passage de témoin : Albert-la-barbiche, apôtre vieillissant de la bonne parole génétique, transmet le devoir de vigilance à Axel-la-mèche, fringant débiteur de sermons nucléiques.

D’entrée de jeu, ce cher Albert nous ressert ses délires habituels en version concentrée. Ainsi, “ dès que nous sommes confrontés à une courbe de Gauss, nous sommes confrontés à la suspicion que le paramètre que nous manipulons ne représente rien ” (p. 93). Pour information, la courbe de Gauss représente la fonction normale de distribution d’une variable continue sur une population donnée. Si vous prenez mille individus au hasard dans la population française et que vous les classez selon leur taille, par exemple, vous obtiendrez une courbe de Gauss, en forme de cloche : un large sommet à la moyenne (disons 1,75 m) et deux extrémités basses (les rares individus mesurant moins de 1,55 m ou plus de 1,95 m, par exemple), avec une décroissance continue entre le sommet de la courbe et ses extrémités.

Il en va de même pour toutes sortes de données physiologiques et psychologiques : le poids, le taux de cholestérol, le nombre de globules rouges, la durée de la gestation, l’âge des premiers mots ou celui des premières règles, etc. Et aussi, l’intelligence telle qu’elle est mesurée par le quotient intellectuel (QI) : dans toute population, pour une moyenne standard de 100, il existera 2,5 % d’individus en dessous de 70 et au-dessus de 130 (soit au-delà de deux écarts-type de 15 par rapport à la moyenne). Or, sous prétexte que cette dernière mesure vous déplaît, cher Albert, vous jetez à la poubelle l’instrument (la courbe de Gauss) et tous les paramètres que cet instrument peut mesurer. Autant dire les fondements de la statistique, de la biométrie et de la psychométrie. Même Axel est obligé de vous reprendre sur ce point “ En réalité, les médecins utilisent tous les jours la courbe de Gauss, fort précieuse. Ainsi, le fait que la répartition des quotients intellectuels fournisse une courbe de Gauss ne suffit pas à disqualifier le QI ” (p. 84).

En revanche, cher Axel, vous ne reprenez toujours pas votre confrère lorsqu’il énonce des bêtises grosses comme son front de polytechnicien monohumaniste. Ainsi, Albert proclame à propos de la génétique de l’intelligence : “ L’une des meilleures références dans ce domaine concerne les travaux de l’Anglais Cyril Burt, qui avait réussi à dénicher cinquante-trois paires de vrais jumeaux ” (p. 157). Toute personne qui se penche un peu sur le sujet sait fort bien que cette référence, citée uniquement pour la prétendue fraude dont fut accusé le psychométricien anglais après sa mort (fraude aujourd’hui considérée comme douteuse, sinon fabriquée de toutes pièces), est tout à fait dépassée : depuis, Thomas Bouchard Jr, Robert Plomin, Arthur Jensen, John DeFries, Gerald McLearn, ou encore John Loelin ont comparé des centaines de vrais jumeaux séparés, des milliers d’enfants adoptés, des dizaines de milliers d’apparentés. La moindre des choses, dans un vrai débat, serait de le signaler…

Loin de mentionner cette réalité scientifique, cher Axel, vous nous imposez pour votre part une référence à l’inévitable Michel Duyme, en l’occurrence son texte publié en 1999 dans les Proceedings of National Academy of Sciences et visant à démontrer que le placement d’enfants à faible QI en milieu favorisé permet des gains de 7,7 à 19,5 points. Hélas, cette étude a été incendiée par plusieurs psychologues pour ses nombreux biais méthodologiques. Voici pour information quelques-unes des “ imperfections ” de ce travail :

> l’échantillon concerne 65 individus seulement, sans groupe témoin ;

> l’âge moyen du premier test cognitif de référence est d’un peu plus de 4 ans (52,6 mois), ce qui signifie qu’une partie de l’échantillon (âgé de 4 à 6 ans) a été testée avant 4 ans ; or la fidélité test-retest est plutôt considérée comme significative à partir de 5 ou 6 ans, jamais avant 4 ans (surtout pour des enfants “ négligés ” ou “ violentés ”) ;

> avant l’adoption des enfants étudiés, Duyme et al. ont employé le test Terman-Merril de 1959 (non réactualisé et connu pour son instabilité métrique), ainsi que le Bayley et le Brunet-Lézine (qui ne sont pas considérés comme des échelles métriques d’intelligence) ; après l’adoption, ils ont utilisé deux tests standards de QI dont la référence n’est même pas précisée ; la corrélation test-restest n’a donc aucune validité ;

> la variation trouvée par Duyme n’a rien d’exceptionnel. L’héritabilité de l’intelligence est estimée à 50 % dans l’enfance, 60 % dans l’adolescence et 80 % au-delà ; les stimulations de milieu permettent logiquement des progrès entre 6 et 14 ans, surtout chez les enfants retirés à leurs parents pour mauvais traitement ;

> last but not least, l’article de Duyme et al. a été publié à compte d’auteur. Les prestigieux Proceedings of the National Academy of Sciences précisent donc en ouverture (vol. 96, juillet 1999, p. 8790) qu’il s’agit… d’une publicité !

Voilà donc, cher Axel, la “ très belle expérience ” dont vous vantez les mérites auprès de vos lecteurs. Deux hypothèses : soit vous n’y entendez pas rien à la psychométrie et vous avez simplement eu ouïe dire de ce travail grâce à la publicité qui en fut faite par son auteur principal auprès des médias humano-humaniste (Le Monde, Libération, Télérama, Charlie-Hebdo, etc.) ; soit vous mesurez parfaitement la marginalité de cette étude, méthodologiquement mal conçue et contredite par des dizaines d’autres, auquel cas vous trompez volontairement les abrutis qui vous prêtent encore le moindre crédit.

 

Un autre divertissement : Les délires de Bébert et les kahneries d’Axel (deuxième partie)

Bébert a un doute : “ Si je recours au clonage, comme les Ecossais l’ont fait avec la célèbre brebis Dolly, afin d’obtenir un second Albert Jacquard, je m’interroge : quelle en est la finalité ? ” (p. 186).

Axel a tout compris : “ José Bové joue donc un rôle très positif dans notre société et même, c’est un paradoxe, pour le système économique qu’il combat avec ardeur ” (p. 239).

Bébert fait un cauchemar (et nous aussi) : “ Admettons que le meilleur patrimoine possible soit le mien, celui d’Albert Jacquard. Donc, nous ne fabriquerions plus que des enfants possédant mon patrimoine génétique ! Il pourrait naître ainsi jusqu’à six milliards de mes clones ”. (p. 208).

Axel dévoile tout : “ Ma grand-mère était goy, ma mère aussi et, de plus, elle était demoiselle de patronage de sa paroisse. Toute ma famille a été baptisée, et je suis allé au catéchisme ” (p. 48).

Bébert croit en son destin : “ Non, rien n’est perdu. En tout cas, rien ne s’arrangera sans moi, si bien que j’aborde l’avenir avec volontarisme ” (p. 144).

Axel réécrit l’histoire de l’art : “ Une grande partie de l’art occidental […] puise ses racines dans l’extraordinaire créativité africaine ” (p. 165).

Bébert s’émerveille à bon droit : “ Nous pouvons autant nous émerveiller de ce qu’il y a d’abouti chez le chimpanzé, ou bien dans une bactérie, que devant l’aboutissement que je suis moi ” (p. 29).

Axel est d’accord : “ Je suis totalement en harmonie avec vous ” (p. 202).

Bébert fixe le quota : “ Avec des classes d’une vingtaine d’élèves, la présence d’un trisomique peut être excellente pour son propre développement, et pour celui des autres ” (p. 103).

 

Sur la question de l’héritabilité des aptitudes cognitives ou des comportements sociaux, il semble finalement inutile de vous citer des références : rien dans vos propos n’indique que vous avez lu les auteurs des courants scientifiques que vous dénoncez (Jensen, Herrnstein, Plomin, Wilson, Dawkins, Hamilton, Williams, Trivers, Chagnon, Tooby, Cosmides, Plotkin, etc.) et rien n’y ressemble à une réfutation rationnelle. Ainsi, cher Axel Kahn, lorsque vous affirmez : “ Ce qui semble fondamental pour la sociobiologie, c’est que la société capitaliste, notamment par sa très forte capacité d’autorégulation, est aujourd’hui justement le lieu où s’opère la sélection naturelle ” (p. 132). Franchement, Axel, avez-vous lu ne serait-ce qu’un seul livre ou un seul article de sociobiologie avant d’énoncer cette grossière énormité ? Tenez, vous qui êtes généticien, je vous la refais : “ Ce qui semble fondamental pour la génétique mendélienne, c’est que la société bourgeoise, notamment par ses très forts rapports de domination, est aujourd’hui justement le lieu où se vérifient la dominance et la récessivité des allèles ”. Etourdissant, non ? Et encore cette version : “ Ce qui semble fondamental pour la neurobiologie, c’est que les marchés financiers, notamment par leur très forte capacité de connexion des flux d’information, sont aujourd’hui le lieu où se vérifie la théorie des réseaux neuronaux ”. Ebouriffant, n’est-il pas ?

Mais peu vous importe de réfuter et d’argumenter, puisque vous possédez la formule magique, le mana qui donne d’ailleurs son titre à un chapitre : tout est “ 100 % inné, 100 % acquis ”. Réfléchissons un peu à ce slogan.

Dire d’un trait psychologique qu’il est à 100 % inné et 100 % acquis peut signifier qu’il relève d’un double déterminisme absolu : 100 % génétique à la naissance et 100 % environnemental durant le développement. Le problème, c’est qu’une telle situation aberrante n’a jamais été décrite dans les annales de la recherche.

100 % inné et 100 % acquis peut aussi vouloir dire que tout trait psychologique est un parfait mélange de gènes et d’environnement. Mais au-delà de l’enfoncement méthodique des portes ouvertes, que signifie au juste un “ parfait mélange ” ? Il est évident que l’environnement compte dans l’épanouissement de la cognition humaine : si j’enferme une fillette de trois mois dans un placard pour l’en ressortir à l’adolescence, elle a peu de chances d’être fortiche en maths ou en français. Il est non moins évident que l’hérédité détermine aussi les aptitudes des individus : aucun instituteur, aucun éducateur, aucun professeur (sauf ce cher Albert, bien sûr, avec ses étudiants en humanistique) n’ignore qu’à conditions de milieu à peu près égales - riches ou pauvres, blancs ou noirs, peu importe -, certains enfants sont brillants et d’autres abrutis, certains sont violents et d’autres paisibles, certains sont attentifs et d’autres distraits, etc.

Mais s’ils interagissent, l’inné et l’acquis n’ont pas tout à fait le même statut. Les déterminations génétiques ne sont ni décidables ni modifiables (du moins pour l’instant). Il n’en va pas de même pour les déterminations environnementales, qui peuvent varier considérablement au cours de la vie d’un individu ou entre les générations. L’hérédité propose, le milieu dispose. Et non l’inverse. Ainsi, il est tout à fait possible de briser le génie potentiel d’un Mozart en le cloîtrant en bas âge ; mais il est tout à fait impossible de transformer en Mozart un enfant qui n’a aucune prédisposition pour cela.

Par ailleurs, on ne voit pas bien en quoi le déterminisme du milieu serait préférable au déterminisme des gènes, sinon par un a priori moral et idéologique de nature égalitaire. Sur ce sujet, cher Albert, vous avancez plus franchement que votre collègue : “ Etre scientifique, c’est être un homme politiquement engagé ” (p. 242), précisez-vous. On devine sans peine que tout ce qui contrarie l’engagement politique doit être purgé de la science. Mais quoiqu’on pense des engagements égalitaires, il faut surtout noter que leur conséquence éducative serait inverse de ce que vous en attendez : dans un milieu à 100 % identique, toutes les différences manifestées par les individus sont en effet de nature biologique, c’est-à-dire que l’héritabilité grimpe elle aussi à 100 %. L’égalisation de l’environnement est donc le meilleur moyen de faire apparaître au grand jour la part des gènes. Sauf, comme le suggère Albert, à abandonner tout système de notation et de différenciation des individus, ce qui est assurément la méthode idéale pour démontrer qu’il n’existe aucune hiérarchie ni aucune différence.

Contrairement à ce que vous affirmez à l’unisson de la bien-pensance universelle, chers Albert et Axel, les ennemis de la vérité scientifique ne se recrutent donc pas chez les tenants d’un “ ultra-héréditarisme ” ou d’un “ ultra-darwinisme ” qui nieraient l’influence du milieu : de telles théories n’existent tout simplement pas, sinon dans vos cauchemars. En fait, le mensonge systématique et la déformation tendancieuse qui polluent depuis un siècle la psychobiologie sont le fait d’un “ ultra-environnentalisme ” idéologiquement extrémiste et scientifiquement minoritaire. Ce dernier a d’abord tenté de nier purement et simplement l’influence des gènes sur l’esprit humain, puis, vite submergé par l’abondance des preuves expérimentales autant que par l’évidence logique des lois de l’évolution, il a fini par se réfugier dans l’autisme et le sectarisme : ignorance pure et simple des travaux dérangeants doublée d’une dénonciation calomnieuse de certains chercheurs disparus.

A dire vrai, l’implosion finale de l’humano-humanisme sous les coups de massue de la science se ressent jusque dans vos textes. Pas les vôtres, cher Albert, puisque votre stratégie consiste à répéter la même antienne depuis quarante ans. Mais les vôtres, cher Axel, sont franchement hilarants de confusion satisfaite et de logorrhée contradictoire.

Ainsi, vous affirmez en page 36 : “ L’homme, c’est le moment à partir duquel, du fait d’une évolution biologique, l’être humain se met à engendrer une culture qui interagit avec ses possibilités cognitives : à partir de là, son évolution comportementale et l’accroissement de ses capacités techniques vont totalement cesser d’être biologique, pour ne plus devenir que culturelle ”. En page 76, vous statuez : “ La grande caractéristique de l’humain ne tient pas à la négation de ses déterminations génétiques, mais à l’augmentation des degrés de liberté dans leur exécution ”. En l’espace de quarante pages (et une demi-heure de discussion), vous pondez ainsi deux généralités s’annulant l’une l’autre. Dans un cas, les comportements humains ne sont plus du tout sous la dépendance des gènes ; dans l’autre, ils possèdent tout juste une marge de liberté vis-à-vis d’eux.

Un autre exemple. En page 147, à propos des génomes de l’homme et du chimpanzé à 98,4 % identiques, vous affirmez : “ Certains scientifiques affirment […] que lorsque nous aurons séquencé le génome du chimpanzé, nous découvrirons les “gènes de l’humanité”, ceux-là même qui seraient responsables de l’apparition du genre Homo. Il s’agirait des gènes différant radicalement entre le chimpanzé et l’homme (la fameuse différence de 1,6 %) ! […] Cette croyance renvoie aux fondements du racisme biologique tel qu’il s’est structuré comme l’une des conséquences idéologiques du darwinisme ”. Or, en page 175, comparant cette fois les génomes de la levure, de la mouche et de l’homme, vous précisez : “ Si nous connaissons déjà la fonction de la moitié de nos gènes, c’est parce que, selon la loi de l’évolution, ils dérivent de ceux des ancêtres de l’homme et bien avant cela, des 7.000 gènes de la levure ou des 14.000 gènes de la drosophile. […] Si nous avons de bonnes indications sur la fonction de 40 % de nos gènes, nous n’en avons qu’une idée extrêmement vague pour 30 % et n’en connaissons rien pour les 30 % restant. Ces derniers sont peut-être tout à fait spécifiques des mammifères supérieurs, c’est pourquoi la levure ou la mouche ne sont d’aucune utilité ”. Donc, si l’on comprend bien votre darwinisme revu et corrigé par la police de la conformité scientifique, il est tout à fait normal de s’intéresser aux gènes qui séparent les insectes et les mammifères, mais il est tout à fait raciste de chercher les gènes qui séparent plusieurs espèces mammifères pourtant issues du même rameau évolutif.

Heureusement que vous êtes généticien, sinon je vous prendrai pour un charlatan.

Il est temps d’achever cette lettre. Je laisse à nos lecteurs le soin de découvrir la surprenante manière (pp. 210-213) par laquelle vous justifiez l’un comme l’autre la loi chinoise de protection de la mère et de l’enfant, pourtant connue comme étant une directive eugénique autoritaire, tout en cassant du sucre sur le dos du méchant Dr Carrel et de l’horrible tradition de l’eugénisme occidental. Je suis plutôt d’accord avec vos raisonnements concernant les politiques asiatiques, et je ne manquerai d’ailleurs pas de le réutiliser cyniquement dans d’autres contextes, pour justifier l’autosélection tout en me réclamant de vos illustres patronymes.

Vous voyez, chers Albert et Axel, tout ne nous éloigne pas. Vous avez même émis l’un et l’autre deux pertinentes pensées que j’abandonne pour finir à la méditation de tous.

Axel Kahn : “ Si toutes les personnes douées sur le plan de la communication et autorisées à s’exprimer ne transmettent plus que la même opinion, nous sombrons alors dans les mécanismes qui fondent une société totalitaire ” (p. 120).

Albert Jacquard : “ Il faut donc être très attentif à tous ceux qui sont tentés de dire un peu n’importe quoi sous prétexte qu’ils se sont fait un nom, après avoir publié un ouvrage sur tel ou tel sujet, dans un domaine scientifique qu’ils maîtrisent parfaitement […] Cette notoriété ne nous donne pas le droit de nous exprimer à tort et à travers sur tout et son contraire ” (p. 245).

Recevez, Cher Albert et Cher Axel, l’expression de mes meilleurs vœux pour l’An II de la Mutation.

 

Mutamax