Exécution sommaire
Cher Axel Jacquard, Cher Albert Kahn,
Euh, pardon,
Cher Albert Jackahn, Cher Axel Quard,
Zut, non enfin,
Chers Albert et Axel,
Le désir de vous lire ne procède pas dun conseil dennemi de la POF (pensée officielle française), comme ce fut le cas pour Guillebaud, mais dun pur hasard.
Avec lami Azi-Muté, en douce compagnie de deux Mutantes anonymes, nous nous promenions dans une grande librairie parisienne, le cur rempli dallégresse, lâme de spiritualité et le sang de spiritueux. Au rayon des essais, les piles majestueuses saffrontaient sur les tables pour attirer le chaland, dans une fascinante lutte pour la survie darwinienne. Azi-Muté me tira par la manche pour me désigner lune de ces piles. Couverture alléchante : Albert Jacquard, Axel Kahn, Lavenir nest pas écrit . Laudace et loriginalité de la proposition contenue dans ce titre nous firent vaciller un moment.
En retournant lessai pour contempler la quatrième de couverture, je fus définitivement séduit.
Dabord la photo. Vous, mon cher Axel, avec votre jolie chemise Vichy, votre frimousse éclairée de gendre idéal, vos fines lunettes dhumaniste sincère, votre large front dexpert engagé, votre sourire dhomme bon, si bon que vous ressemblez parfois à un curé de campagne égaré dans le monde cruel de la science médiatique Et vous, Albert, avec linimitable grimace qui vous sert de sourire et vous fait tant ressembler à un adorable macaque rhésus, votre folâtre barbiche de nain savant et grognon à la fois, vos yeux si plein damour pour le genre humain (le droit) et de haine pour les ennemis dudit genre humain (le gauche), votre chemise Tati piquée dans un squat du Droit au logement
Ensuite le texte de cette quatrième de couverture. Ouverture magistrale : On les connaissait tous deux pour leur engagement en faveur dune science à visage humain . Cette première ligne aurait suffi à vaincre toute réticence. Mais je lis encore : On ne les savait pas si différents sur beaucoup de points . Cet aveu est tellement vrai : à force de vous entendre dire toujours la même chose sur le même ton et dans les mêmes médias, on avait presque oublié que des hommes se cachaient encore derrière le masque des clones socio-idéologiques de la médiocratie. Et puis, léditeur en rajoute une louche pour convaincre les derniers indécis : On lachève [le livre] avec le sentiment davoir été admis dans lintimité de deux grands savants humanistes . Ce qui vaut tout de même son pesant de cacahuètes. Pour être plus précis, cette intimité coûte 13,90 euros, 91,20 F. Bien moins cher quune passe - en plus, il ma fallu 117 bonnes minutes pour perforer votre intimité, de sa première à sa dernière feuille
Venons-en aux choses sérieuses, cest-à-dire les 254 pages de sermons que Bayard, éditeur catholique par accident mais humaniste par essence, a décidé de publier.
Malgré les promesses de dissensus annoncées en quatrième de couverture, il nexiste guère quun seul point de désaccord entre vous : Albert défend le clonage thérapeutique et même reproductif, quand Axel le refuse tout net.
Argument dAlbert : si un couple en détresse na pas dautres moyens pour se reproduire, pourquoi pas ? Et puis, Albert est tellement persuadé que les gènes ont une influence minime sur les individus que deux clones sont à ses yeux presque comme deux étrangers. Où lon voit les vertus inattendues de vices idéologiques poussés à labsurde Réponse offusquée dAxel : La philosophie selon laquelle un projet ne peut être jugé quen fonction de sa finalité, en dautres termes lidée que la fin justifie les moyens, est pour moi une abomination absolue (p. 189). Or, cher Axel, vous précisez pourtant quelques pages plus loin (p. 195) : En arriver à mettre en balance les objections soulevées par certains moyens, sans les nier, avec les bienfaits escomptés des fins, cest en effet la dure réalité de léthique au quotidien . On devine que vous côtoyez labomination absolue tous les jours et on en frémit pour vous.
Mais cher Axel, il faut être honnête avec Albert, que vous avez paralysé dès le départ de la discussion sur le clonage, en page 190, par une référence appuyée au communisme comme monstrueuse idéologie de la fin-sacrifiant-les-moyens (vous saviez bien que Bébert fut compagnon de déroute de cette idéologie-là). Vous auriez dû reconnaître que le brave homme ne disait pas autre chose que vous. A ses yeux, le bienfait escompté (mettre fin à la souffrance dun couple stérile) lemporte simplement sur les objections de moyen (utiliser la technique du clonage reproductif). Quant à votre propre raisonnement, cher Axel, il ne nous dit rien sur le moment où le rapport fin/moyen bascule de l abomination absolue vers la dure réalité de léthique au quotidien . Et pour cause : ce moment est suspendu à votre appréciation personnelle, elle-même déterminée par la sensibilité médiocratique du moment. En termes plus crus, votre éthique au quotidien relève de la girouette : vous sucez votre index, le pointez vers le ciel et déterminez ainsi dans quel sens souffle le vent dominant. Aujourdhui, vous êtes contre le clonage ; demain, vous le soutiendrez. Dans les deux cas, votre position sera assortie de tous les vertueux superlatifs nécessaires à laccréditation de votre bonne foi.
Jen veux pour preuve les distinctions jésuitiques que vous opérez lorsquil est question des embryons. Vous parvenez ainsi à justifier que les chercheurs travaillent à partir dembryons surnuméraires (abandonnés sans projet parental, après une fécondation in vitro) tout en refusant quils utilisent des embryons produits par clonage thérapeutique. Si lon vous en croit, utiliser [un tel embryon surnuméraire] lui offre même loccasion dune nouvelle proximité avec un projet humain quil naurait pas eu sans cela . La fréquentation des évêques, des rabbins et des imams du Comité déthique vous a doté dun solide diplôme en jargonnage consensuel. Pour mémoire, les embryons dont vous parlez représentent au maximum quelques centaines de cellules agrégées, le plus souvent moins dune douzaine : il est certain que la proximité avec un projet humain leur fera un bien fou quand la pipette du chercheur viendra leur titiller le nucléus ! Quant aux parents qui avaient oublié le divin embryon dans le frigo, il ne fait aucun doute non plus que la proximité de leur avorton décongelé avec un projet humain vaudra certificat de bonne conscience pour léternité.
Pour finir avec ce chapitre clonal et embryonnaire, je vous signale amicalement, mon cher Axel, que certains de vos propos sy situent à la limite de la dérive, voire de lIndicible. Ainsi, pour justifier votre refus du clonage à la lumière de labsolue singularité de tout être, vous écrivez : Chez lhomme, la sexualité et le couple incarnent ce lieu presque magique où séprouve laltérité au quotidien. Il est au cur de la condition humaine que lhomme saccouple avec un être différent, la femme, dans le but de concevoir un être tout aussi différent, lenfant (p. 190).
Le sens de votre propos est effarant. Car cette phrase, cher Axel, signifie tout simplement que lhomme saccouplant avec un homme reste étranger à laltérité au quotidien de la condition humaine. En dautres termes, vous commettez le péché dHO-MO-PHO-BIE. Sur léchelle de Richter de la sensiblerie moderne, cette homophobie est certes un peu moins grave que la xénophobie, mais elle est tout de même plus inquiétante que la claustrophobie. Repentez-vous, Axel, ou vous serez un jour excommunié par lEglise cathodique.
Petit divertissement entre deux sujets sérieux :
Les
délires de Bébert et les kahneries dAxel
(première partie)
Bébert contre les maisons closes : Un ingénieur qui loue son intelligence ne vaut guère mieux quune putain qui loue son sexe ! Ce nest pas le même organe, mais au fond, cest la même attitude ! (p. 61).
Axel devient prophète : Dabord, la loi dit la règle et la règle cest : Tu ne tueras pas, tout comme lédictent les textes religieux (p. 56. On admirera le pluriel).
Bébert est un subtil exégète : La Bible nest pas un ouvrage scientifique, mais ceux qui lont rédigée avaient perçu que lhomme présentait un caractère très particulier (p. 141).
Axel hiérarchise les races sur base de leurs capacités sportives : Il existe probablement des aptitudes différentes suivant les groupes ethniques. Est-ce raciste daffirmer par exemple que certaines ethnies font preuve dune plus grande aptitude sportive que les autres ? Non, si cela est vrai, cela nest pas du racisme ! Les Noirs ont en moyenne un plus grand nombre de globules rouges que les Blancs (p. 164).
Bébert na pas de cur : Essayons dêtre clair : je nai aucun respect particulier pour un spermatozoïde, ni pour un ovule (p. 185).
Axel révise Mendel : Lorsquun vrai jumeau est extrêmement brillant, il est exceptionnel que son frère soit un cancre absolu. Mais de là à dire que les dons se transmettent de père et de mère en fils et en fille de manière héréditaire, cest un pas quil ne faut pas franchir (p. 103).
Bébert plane en conférence : Ils me regardent et jai le sentiment dêtre un médium (p. 119).
Axel et les 40 voleurs : Dans certaines situations, je comprends que, compte tenu du caractère attractif de ce que je possède, certaines personnes déshéritées puissent men dépouiller (p. 252).
Bébert a ses méthodes : Lidée même de donner une note me paraît stupide ! Affirmer quune copie vaut 12, 15 ou 19 sur 20 ne veut rien dire ! En ce qui me concerne, japplique cette méthode avec mes élèves de lécole universitaire darchitecture de Lugano, en Suisse, auxquels jenseigne lhumanistique [sic !] (p. 247).
La première partie de votre livre présente une discussion sans grand intérêt sur le thème : quest-ce donc que la vie ? quest-ce donc que la mort ? Je fais grâce à nos lecteurs de sa critique, dans la mesure où vous enfilez lun comme lautre des perles pâles sur un commun collier. Ce plat de résistance permet juste de mesurer le rapport de force. Vous, cher Albert, commencez à juste titre par considérer le gène comme lunité fondamentale du vivant. Mais en cinq pages et dix minutes de palabres, ce dur Axel vous fait changer dopinion : la vie commence maintenant avec la cellule. Vous auriez pu demander à votre interlocuteur comment une cellule se réplique sans gènes. Mais apparemment, vous avez flairé que la définition cellulaire dAxel correspond mieux à lobjet principal du débat.
Cet objet, qui forme le grand thème de votre ouvrage, est la lutte contre le redoutable, labominable, lépouvantable, linsupportable, linnommable, le détestable, lirrécupérable, linqualifiable déterminisme génétique . Soit la deuxième partie, qui se prétend une critique définitive de la sociobiologie, de la psychométrie et de la génétique du comportement ; plus un morceau de la troisième, qui aborde la douloureuse, la malheureuse, la ténébreuse, la scabreuse, la fameuse, lensorceleuse question de leugénisme. Comme vous êtes sensiblement daccord sur ces sujets, votre débat se transforme vite en monologue à deux voix. Une sorte de passage de témoin : Albert-la-barbiche, apôtre vieillissant de la bonne parole génétique, transmet le devoir de vigilance à Axel-la-mèche, fringant débiteur de sermons nucléiques.
Dentrée de jeu, ce cher Albert nous ressert ses délires habituels en version concentrée. Ainsi, dès que nous sommes confrontés à une courbe de Gauss, nous sommes confrontés à la suspicion que le paramètre que nous manipulons ne représente rien (p. 93). Pour information, la courbe de Gauss représente la fonction normale de distribution dune variable continue sur une population donnée. Si vous prenez mille individus au hasard dans la population française et que vous les classez selon leur taille, par exemple, vous obtiendrez une courbe de Gauss, en forme de cloche : un large sommet à la moyenne (disons 1,75 m) et deux extrémités basses (les rares individus mesurant moins de 1,55 m ou plus de 1,95 m, par exemple), avec une décroissance continue entre le sommet de la courbe et ses extrémités.
Il en va de même pour toutes sortes de données physiologiques et psychologiques : le poids, le taux de cholestérol, le nombre de globules rouges, la durée de la gestation, lâge des premiers mots ou celui des premières règles, etc. Et aussi, lintelligence telle quelle est mesurée par le quotient intellectuel (QI) : dans toute population, pour une moyenne standard de 100, il existera 2,5 % dindividus en dessous de 70 et au-dessus de 130 (soit au-delà de deux écarts-type de 15 par rapport à la moyenne). Or, sous prétexte que cette dernière mesure vous déplaît, cher Albert, vous jetez à la poubelle linstrument (la courbe de Gauss) et tous les paramètres que cet instrument peut mesurer. Autant dire les fondements de la statistique, de la biométrie et de la psychométrie. Même Axel est obligé de vous reprendre sur ce point En réalité, les médecins utilisent tous les jours la courbe de Gauss, fort précieuse. Ainsi, le fait que la répartition des quotients intellectuels fournisse une courbe de Gauss ne suffit pas à disqualifier le QI (p. 84).
En revanche, cher Axel, vous ne reprenez toujours pas votre confrère lorsquil énonce des bêtises grosses comme son front de polytechnicien monohumaniste. Ainsi, Albert proclame à propos de la génétique de lintelligence : Lune des meilleures références dans ce domaine concerne les travaux de lAnglais Cyril Burt, qui avait réussi à dénicher cinquante-trois paires de vrais jumeaux (p. 157). Toute personne qui se penche un peu sur le sujet sait fort bien que cette référence, citée uniquement pour la prétendue fraude dont fut accusé le psychométricien anglais après sa mort (fraude aujourdhui considérée comme douteuse, sinon fabriquée de toutes pièces), est tout à fait dépassée : depuis, Thomas Bouchard Jr, Robert Plomin, Arthur Jensen, John DeFries, Gerald McLearn, ou encore John Loelin ont comparé des centaines de vrais jumeaux séparés, des milliers denfants adoptés, des dizaines de milliers dapparentés. La moindre des choses, dans un vrai débat, serait de le signaler
Loin de mentionner cette réalité scientifique, cher Axel, vous nous imposez pour votre part une référence à linévitable Michel Duyme, en loccurrence son texte publié en 1999 dans les Proceedings of National Academy of Sciences et visant à démontrer que le placement denfants à faible QI en milieu favorisé permet des gains de 7,7 à 19,5 points. Hélas, cette étude a été incendiée par plusieurs psychologues pour ses nombreux biais méthodologiques. Voici pour information quelques-unes des imperfections de ce travail :
> léchantillon concerne 65 individus seulement, sans groupe témoin ;
> lâge moyen du premier test cognitif de référence est dun peu plus de 4 ans (52,6 mois), ce qui signifie quune partie de léchantillon (âgé de 4 à 6 ans) a été testée avant 4 ans ; or la fidélité test-retest est plutôt considérée comme significative à partir de 5 ou 6 ans, jamais avant 4 ans (surtout pour des enfants négligés ou violentés ) ;
> avant ladoption des enfants étudiés, Duyme et al. ont employé le test Terman-Merril de 1959 (non réactualisé et connu pour son instabilité métrique), ainsi que le Bayley et le Brunet-Lézine (qui ne sont pas considérés comme des échelles métriques dintelligence) ; après ladoption, ils ont utilisé deux tests standards de QI dont la référence nest même pas précisée ; la corrélation test-restest na donc aucune validité ;
> la variation trouvée par Duyme na rien dexceptionnel. Lhéritabilité de lintelligence est estimée à 50 % dans lenfance, 60 % dans ladolescence et 80 % au-delà ; les stimulations de milieu permettent logiquement des progrès entre 6 et 14 ans, surtout chez les enfants retirés à leurs parents pour mauvais traitement ;
> last but not least, larticle de Duyme et al. a été publié à compte dauteur. Les prestigieux Proceedings of the National Academy of Sciences précisent donc en ouverture (vol. 96, juillet 1999, p. 8790) quil sagit dune publicité !
Voilà donc, cher Axel, la très belle expérience dont vous vantez les mérites auprès de vos lecteurs. Deux hypothèses : soit vous ny entendez pas rien à la psychométrie et vous avez simplement eu ouïe dire de ce travail grâce à la publicité qui en fut faite par son auteur principal auprès des médias humano-humaniste (Le Monde, Libération, Télérama, Charlie-Hebdo, etc.) ; soit vous mesurez parfaitement la marginalité de cette étude, méthodologiquement mal conçue et contredite par des dizaines dautres, auquel cas vous trompez volontairement les abrutis qui vous prêtent encore le moindre crédit.
Un autre divertissement : Les délires de Bébert et les kahneries dAxel (deuxième partie)
Bébert a un doute : Si je recours au clonage, comme les Ecossais lont fait avec la célèbre brebis Dolly, afin dobtenir un second Albert Jacquard, je minterroge : quelle en est la finalité ? (p. 186).
Axel a tout compris : José Bové joue donc un rôle très positif dans notre société et même, cest un paradoxe, pour le système économique quil combat avec ardeur (p. 239).
Bébert fait un cauchemar (et nous aussi) : Admettons que le meilleur patrimoine possible soit le mien, celui dAlbert Jacquard. Donc, nous ne fabriquerions plus que des enfants possédant mon patrimoine génétique ! Il pourrait naître ainsi jusquà six milliards de mes clones . (p. 208).
Axel dévoile tout : Ma grand-mère était goy, ma mère aussi et, de plus, elle était demoiselle de patronage de sa paroisse. Toute ma famille a été baptisée, et je suis allé au catéchisme (p. 48).
Bébert croit en son destin : Non, rien nest perdu. En tout cas, rien ne sarrangera sans moi, si bien que jaborde lavenir avec volontarisme (p. 144).
Axel réécrit lhistoire de lart : Une grande partie de lart occidental [ ] puise ses racines dans lextraordinaire créativité africaine (p. 165).
Bébert sémerveille à bon droit : Nous pouvons autant nous émerveiller de ce quil y a dabouti chez le chimpanzé, ou bien dans une bactérie, que devant laboutissement que je suis moi (p. 29).
Axel est daccord : Je suis totalement en harmonie avec vous (p. 202).
Bébert fixe le quota : Avec des classes dune vingtaine délèves, la présence dun trisomique peut être excellente pour son propre développement, et pour celui des autres (p. 103).
Sur la question de lhéritabilité des aptitudes cognitives ou des comportements sociaux, il semble finalement inutile de vous citer des références : rien dans vos propos nindique que vous avez lu les auteurs des courants scientifiques que vous dénoncez (Jensen, Herrnstein, Plomin, Wilson, Dawkins, Hamilton, Williams, Trivers, Chagnon, Tooby, Cosmides, Plotkin, etc.) et rien ny ressemble à une réfutation rationnelle. Ainsi, cher Axel Kahn, lorsque vous affirmez : Ce qui semble fondamental pour la sociobiologie, cest que la société capitaliste, notamment par sa très forte capacité dautorégulation, est aujourdhui justement le lieu où sopère la sélection naturelle (p. 132). Franchement, Axel, avez-vous lu ne serait-ce quun seul livre ou un seul article de sociobiologie avant dénoncer cette grossière énormité ? Tenez, vous qui êtes généticien, je vous la refais : Ce qui semble fondamental pour la génétique mendélienne, cest que la société bourgeoise, notamment par ses très forts rapports de domination, est aujourdhui justement le lieu où se vérifient la dominance et la récessivité des allèles . Etourdissant, non ? Et encore cette version : Ce qui semble fondamental pour la neurobiologie, cest que les marchés financiers, notamment par leur très forte capacité de connexion des flux dinformation, sont aujourdhui le lieu où se vérifie la théorie des réseaux neuronaux . Ebouriffant, nest-il pas ?
Mais peu vous importe de réfuter et dargumenter, puisque vous possédez la formule magique, le mana qui donne dailleurs son titre à un chapitre : tout est 100 % inné, 100 % acquis . Réfléchissons un peu à ce slogan.
Dire dun trait psychologique quil est à 100 % inné et 100 % acquis peut signifier quil relève dun double déterminisme absolu : 100 % génétique à la naissance et 100 % environnemental durant le développement. Le problème, cest quune telle situation aberrante na jamais été décrite dans les annales de la recherche.
100 % inné et 100 % acquis peut aussi vouloir dire que tout trait psychologique est un parfait mélange de gènes et denvironnement. Mais au-delà de lenfoncement méthodique des portes ouvertes, que signifie au juste un parfait mélange ? Il est évident que lenvironnement compte dans lépanouissement de la cognition humaine : si jenferme une fillette de trois mois dans un placard pour len ressortir à ladolescence, elle a peu de chances dêtre fortiche en maths ou en français. Il est non moins évident que lhérédité détermine aussi les aptitudes des individus : aucun instituteur, aucun éducateur, aucun professeur (sauf ce cher Albert, bien sûr, avec ses étudiants en humanistique) nignore quà conditions de milieu à peu près égales - riches ou pauvres, blancs ou noirs, peu importe -, certains enfants sont brillants et dautres abrutis, certains sont violents et dautres paisibles, certains sont attentifs et dautres distraits, etc.
Mais sils interagissent, linné et lacquis nont pas tout à fait le même statut. Les déterminations génétiques ne sont ni décidables ni modifiables (du moins pour linstant). Il nen va pas de même pour les déterminations environnementales, qui peuvent varier considérablement au cours de la vie dun individu ou entre les générations. Lhérédité propose, le milieu dispose. Et non linverse. Ainsi, il est tout à fait possible de briser le génie potentiel dun Mozart en le cloîtrant en bas âge ; mais il est tout à fait impossible de transformer en Mozart un enfant qui na aucune prédisposition pour cela.
Par ailleurs, on ne voit pas bien en quoi le déterminisme du milieu serait préférable au déterminisme des gènes, sinon par un a priori moral et idéologique de nature égalitaire. Sur ce sujet, cher Albert, vous avancez plus franchement que votre collègue : Etre scientifique, cest être un homme politiquement engagé (p. 242), précisez-vous. On devine sans peine que tout ce qui contrarie lengagement politique doit être purgé de la science. Mais quoiquon pense des engagements égalitaires, il faut surtout noter que leur conséquence éducative serait inverse de ce que vous en attendez : dans un milieu à 100 % identique, toutes les différences manifestées par les individus sont en effet de nature biologique, cest-à-dire que lhéritabilité grimpe elle aussi à 100 %. Légalisation de lenvironnement est donc le meilleur moyen de faire apparaître au grand jour la part des gènes. Sauf, comme le suggère Albert, à abandonner tout système de notation et de différenciation des individus, ce qui est assurément la méthode idéale pour démontrer quil nexiste aucune hiérarchie ni aucune différence.
Contrairement à ce que vous affirmez à lunisson de la bien-pensance universelle, chers Albert et Axel, les ennemis de la vérité scientifique ne se recrutent donc pas chez les tenants dun ultra-héréditarisme ou dun ultra-darwinisme qui nieraient linfluence du milieu : de telles théories nexistent tout simplement pas, sinon dans vos cauchemars. En fait, le mensonge systématique et la déformation tendancieuse qui polluent depuis un siècle la psychobiologie sont le fait dun ultra-environnentalisme idéologiquement extrémiste et scientifiquement minoritaire. Ce dernier a dabord tenté de nier purement et simplement linfluence des gènes sur lesprit humain, puis, vite submergé par labondance des preuves expérimentales autant que par lévidence logique des lois de lévolution, il a fini par se réfugier dans lautisme et le sectarisme : ignorance pure et simple des travaux dérangeants doublée dune dénonciation calomnieuse de certains chercheurs disparus.
A dire vrai, limplosion finale de lhumano-humanisme sous les coups de massue de la science se ressent jusque dans vos textes. Pas les vôtres, cher Albert, puisque votre stratégie consiste à répéter la même antienne depuis quarante ans. Mais les vôtres, cher Axel, sont franchement hilarants de confusion satisfaite et de logorrhée contradictoire.
Ainsi, vous affirmez en page 36 : Lhomme, cest le moment à partir duquel, du fait dune évolution biologique, lêtre humain se met à engendrer une culture qui interagit avec ses possibilités cognitives : à partir de là, son évolution comportementale et laccroissement de ses capacités techniques vont totalement cesser dêtre biologique, pour ne plus devenir que culturelle . En page 76, vous statuez : La grande caractéristique de lhumain ne tient pas à la négation de ses déterminations génétiques, mais à laugmentation des degrés de liberté dans leur exécution . En lespace de quarante pages (et une demi-heure de discussion), vous pondez ainsi deux généralités sannulant lune lautre. Dans un cas, les comportements humains ne sont plus du tout sous la dépendance des gènes ; dans lautre, ils possèdent tout juste une marge de liberté vis-à-vis deux.
Un autre exemple. En page 147, à propos des génomes de lhomme et du chimpanzé à 98,4 % identiques, vous affirmez : Certains scientifiques affirment [ ] que lorsque nous aurons séquencé le génome du chimpanzé, nous découvrirons les gènes de lhumanité, ceux-là même qui seraient responsables de lapparition du genre Homo. Il sagirait des gènes différant radicalement entre le chimpanzé et lhomme (la fameuse différence de 1,6 %) ! [ ] Cette croyance renvoie aux fondements du racisme biologique tel quil sest structuré comme lune des conséquences idéologiques du darwinisme . Or, en page 175, comparant cette fois les génomes de la levure, de la mouche et de lhomme, vous précisez : Si nous connaissons déjà la fonction de la moitié de nos gènes, cest parce que, selon la loi de lévolution, ils dérivent de ceux des ancêtres de lhomme et bien avant cela, des 7.000 gènes de la levure ou des 14.000 gènes de la drosophile. [ ] Si nous avons de bonnes indications sur la fonction de 40 % de nos gènes, nous nen avons quune idée extrêmement vague pour 30 % et nen connaissons rien pour les 30 % restant. Ces derniers sont peut-être tout à fait spécifiques des mammifères supérieurs, cest pourquoi la levure ou la mouche ne sont daucune utilité . Donc, si lon comprend bien votre darwinisme revu et corrigé par la police de la conformité scientifique, il est tout à fait normal de sintéresser aux gènes qui séparent les insectes et les mammifères, mais il est tout à fait raciste de chercher les gènes qui séparent plusieurs espèces mammifères pourtant issues du même rameau évolutif.
Heureusement que vous êtes généticien, sinon je vous prendrai pour un charlatan.
Il est temps dachever cette lettre. Je laisse à nos lecteurs le soin de découvrir la surprenante manière (pp. 210-213) par laquelle vous justifiez lun comme lautre la loi chinoise de protection de la mère et de lenfant, pourtant connue comme étant une directive eugénique autoritaire, tout en cassant du sucre sur le dos du méchant Dr Carrel et de lhorrible tradition de leugénisme occidental. Je suis plutôt daccord avec vos raisonnements concernant les politiques asiatiques, et je ne manquerai dailleurs pas de le réutiliser cyniquement dans dautres contextes, pour justifier lautosélection tout en me réclamant de vos illustres patronymes.
Vous voyez, chers Albert et Axel, tout ne nous éloigne pas. Vous avez même émis lun et lautre deux pertinentes pensées que jabandonne pour finir à la méditation de tous.
Axel Kahn : Si toutes les personnes douées sur le plan de la communication et autorisées à sexprimer ne transmettent plus que la même opinion, nous sombrons alors dans les mécanismes qui fondent une société totalitaire (p. 120).
Albert Jacquard : Il faut donc être très attentif à tous ceux qui sont tentés de dire un peu nimporte quoi sous prétexte quils se sont fait un nom, après avoir publié un ouvrage sur tel ou tel sujet, dans un domaine scientifique quils maîtrisent parfaitement [ ] Cette notoriété ne nous donne pas le droit de nous exprimer à tort et à travers sur tout et son contraire (p. 245).
Recevez, Cher Albert et Cher Axel, lexpression de mes meilleurs vux pour lAn II de la Mutation.
Mutamax