Micro-laboratoires

 

 

On s'ennuie beaucoup dans les consultations de bio-éthique. Voilà pourquoi un de nos camarades Mutants a eu la bonne idée de réaliser voici quelque temps ces trois entretiens avec des collègues rencontrés sur place, chacun étant spécialisé dans un domaine. Une petite idée de l'ambiance franco-française dans le génie génétique, la médecine légale et l'assistance à la procréation.

Après le micro-trottoir, le micro-laboratoire...


Le professeur P. fait partie de l’équipe biologique d’un Centre d’infertilité et d’assistance médicale à la procréation. Il s’occupe notamment des questions relatives à la fécondation in vitro.

Quel est le délai légal pour réaliser un test prénatal ? Est-il généralisé aujourd’hui ?

On réalise le test prénatal aux environs de la dix-huitième semaine de grossesse. Ce test comporte plusieurs parties dont certaines sont obligatoires :

- L’échographie est obligatoire.

- On fait des tests génétiques. Plusieurs tests possibles :

> Le test sanguin est obligatoire.

> L’amniocenthèse (= prélèvement de liquide amniotique pour examen des chromosomes) est imposée quand il y a des facteurs de risques.

> En fonction des précédents familiaux, on fait aussi des tests prédictifs sur des pathologies héréditaires, comme la mucoviscidose. L’enjeu des années à venir est là : un nombre de plus en plus important de patients demandent des tests sur toutes sortes de maladies. L’imaginaire du “ bébé parfait ”, dont parlent Sfez ou Testard, est très puissant.

 

Comment traite-t-on aujourd’hui le problème des embryons surnuméraires ?

On ne le traite pas ; la situation actuelle est en effet absurde. Selon la loi du 24 juillet 1994, il y a à la fois :

- interdiction de détruire les embryons surnuméraires ;

- interdiction de les conserver plus de 5 ans.

Une solution satisfaisante serait de donner les embryons surnuméraires à des couples désirant un enfant, mais ne pouvant pas produire d’embryons. La situation reviendrait à une adoption. Or, si la loi autorise bien a priori des dons de ce genre, en revanche les décrets d’application ne sont pas parus. On est donc dans l’incapacité d’appliquer la loi.

Cette situation est d’autant plus absurde que l’IVG peut se faire jusqu’à dix semaines, douze semaines même depuis 2000. A dix semaines, 95 % des foetus se développeraient. Or les embryons (qui sont composés de 4-5 cellules) auraient 10 % de chances de se développer. Il y a ainsi une incohérence entre la légalisation de l’avortement (jusqu’à douze semaines) et l’interdiction (même partielle) de détruire les embryons. Premièrement, la logique voudrait qu’on interdise l’utilisation ou la destruction des embryons surnuméraires. Deuxièmement, il faudrait soit interdire l’IVG si on interdit la destruction des embryons surnuméraires, soit tout légaliser. Si on décidait de légaliser l’utilisation des embryons surnuméraires et d’interdire leur destruction, il serait nécessaire de préciser à quelles fins peuvent servir ces embryons. A noter du reste que la recherche sur les embryons n’est pas de jure interdite, mais elle est à ce point encadrée qu’elle l’est quasiment de facto. Cette législation très contraignante, qui risque encore de s’aggraver avec les nouvelles lois bio-éthiques, posent d’évidents problèmes pour la recherche fondamentale sur les cellules-souches embryonnaires. Va-t-on choisir la voie hypocrite de l’Allemagne, qui consiste à importer des lignées clonales de cellules d’embryon ?

 

Quelles sont les innovations les plus significatives, les plus fécondes dans le domaine des techniques de procréation médicalement assistée ?

Il y a deux techniques particulièrement importantes :

> L’ICSI, c’est-à-dire la micro-injection de spermatozoïde dans l’ovocyte. C’est un procédé révolutionnaire dans le traitement de l’impuissance masculine.

> La deuxième technique consiste à prélever des cellules d’embryon pour réaliser des tests génétiques. Ce procédé est intéressant lorsqu’il y a risque de maladie génétique grave. Aujourd’hui, on réalise un test prénatal autour de 18 semaines, même au-delà, lorsqu’il y a risque. Si le foetus est malformé, on peut interrompre la grossesse. Cette IVG se fait donc au-delà de la limite légale habituelle des 10 semaines. Cette IVG peut se faire n’importe quand ; elle est motivée par des raisons médicales. Hors raisons médicales, l’IVG se justifie pour des raisons de détresse morale. Il n’ y a pas de limite à l’IVG médicale parce qu’il n’y a pas de moyen de faire de test plus tôt. D’où l’intérêt des techniques qui pourraient porter sur l’embryon. Actuellement, il n’y a que dans le cas de la FIV qu’il est possible de faire des diagnostics sur embryon. Mais c’est un procédé qui est rare, qu’on ne fait que lorsqu’il y a risque. Comme je le disais, cela pose aussi le problème de parents qui ont des attentes qualitatives de plus en plus strictes sur leurs futurs enfants.

 

Quelles sont les innovations moralement les plus problématiques ?

Il y a trois pratiques qui sont préoccupantes :

> D’abord, la recherche réalisée par une équipe de J. Testart consistant à utiliser des cellules précurseurs (= antérieures à la formation des cellules germinales) au lieu de spermatozoïdes dans la FIV. Cette technique appliquée à l’homme avec peu d’expérimentations animales représente un risque génétique et pathologique certain, même si les résultats de ces dernières années semblent bons. A noter que, s’agissant de J. Testart, il y a un problème de cohérence : voilà un chercheur qui proclame que le génie génétique est dangereux et qui réalise des expérimentations hasardeuses.

> Le don d’ovocyte, par exemple en Italie, de femmes jeunes pour des femmes ménopausées naturellement. Cette pratique ne se justifie d’aucune manière ; elle est interdite en France.

> Le clonage reproductif, tel que P. Zavos ou S. Antinori l’envisagent. Ici, les tests sur l’animal sont loin d’être concluants, pour ne pas dire plus. L’application à l’homme est donc très problématique.

D’une manière générale, l’éthique qui prévaut en France est une éthique du don, et du don réel, c’est-à-dire gratuit et altruiste. Ce qui est inacceptable à la lumière de cette éthique, c’est tout le commerce qu’on peut faire autour des techniques médicales, et en particulier des techniques de procréation médicalement assistée. Aux Etats-Unis, il existe des catalogues, maintenant sur Internet, présentant des échantillons des banques de sperme et d’ovocytes, avec des critères de choix très précis (couleur des cheveux, des yeux, origine ethnique, taille, QI, origine sociale, etc). La commercialisation des cellules germinales favorise l’eugénisme le plus débridé. Mais le vrai problème n’est pas là : l’eugénisme a toujours existé et existe encore (l’IVG pour raisons médicales est un exemple d’eugénisme négatif). Il correspond à un désir spontané des parents. Le problème, c’est la réification de l’enfant : car on choisit désormais les caractéristiques de l’enfant comme on choisit les caractéristiques d’un bien de consommation. C’est une perte symbolique au profit d’un optimum technique. Mais on peut débattre : qui doit être juge en dernier ressort, la conscience de chacun ou le législateur ?

En France, on en reste pour le moment à une approche médicale, qui exclut les cas de convenance abusifs. C’est pourquoi on refuse d’inséminer artificiellement les homosexuels. On n’intervient que lorsqu’il y a pathologie, c’est-à-dire lorsqu’il y a entrave du cours naturel ou du développement normal des choses. Toutefois, certains couples fortunés n’hésitent plus à contrevenir à cette vision des choses, inscrite dans notre législation : ils vont dans les pays à éthique plus pragmatique ou plus utilitaire (Etats-Unis, Grande-Bretagne) pour choisir ce qu’ils estiment être la meilleure offre.

 

Quelle est votre conception des rapports entre médecin et patient ?

Les rapports entre médecin et patient, aujourd’hui, sont commandés par le devoir d’information. La relation doit être fondée sur la confiance, une confiance éclairée et entretenue par la transparence. Ainsi le fondement, c’est le consentement éclairé, mais réellement éclairé, ce qui présuppose que l’information soit adaptée. Cette idée est le résultat d’une évolution récente, qui a mis en cause le paternalisme médical.

On peut dire globalement que tout ce qui va dans le sens de cette évolution, dans le sens du consentement éclairé, est bon et positif. Comme les sciences biomédicales progressent très rapidement, cela suppose une information accrue sur des questions dont les gens ont entendu parler, mais qu’ils comprennent très mal (les gènes par exemple).

 

D’après vous, quel est le degré de responsabilité du médecin ? Du chercheur ?

Comme le médecin détient le savoir, il reste seul responsable des techniques médicales utilisées, face au malade. Le problème, c’est que les médecins, à un moment donné, ont voulu donner une image de toute-puissance. Or il est évident qu’ils ne sont pas tout-puissants. Mais si on fait comme si on pouvait tout réussir, lorsqu’une technique, une intervention ne marche pas, les malades ne comprennent plus. Ils accusent alors le médecin d’incompétence, de mensonge. Mais le fait est que, à cause d’une certaine pratique de la médecine, en partie révolue, on veut rendre les médecins responsables de ce qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas faire. Par exemple, si un médecin dit à un couple venu faire une FIV qu’il va avoir un enfant, il s’engage au-delà de ses compétences. Et si la FIV ne réussit pas, le problème c’est que le couple en question ne comprendra pas. Mais il faut savoir que la FIV ne réussit que dans 25% des cas. Le plus honnête est de le dire dès le départ. On revient à la question du consentement éclairé.

 

Pour ce qui est du chercheur, il faut distinguer la recherche fondamentale et la recherche appliquée :

> La recherche fondamentale doit avancer. Il ne paraît ni possible ni souhaitable de réglementer, encore moins d’arrêter le progrès de la connaissance. Cependant, le chercheur est responsable du message qu’il fait passer, de ses communications à la presse scientifique et aux grands médias.

> Quant à la recherche appliquée, il faut mettre s’entourer de précautions. On sait que, entre le moment où l’on met au point une nouvelle molécule pour un traitement pharmaceutique et le moment où l’on va commercialiser le nouveau médicament, il se passe au moins 10 ans. Or, pour les techniques médicales, on ne préconise aucun délai, alors que le temps nécessaire aux tests est le facteur fondamental.

Il faut préciser que la fiabilité et la crédibilité des tests implique le passage à l’expérimentation humaine. Ce type d’expérimentations est trés encadré et contrôlé. On procède en deux temps (après l’expérimentation animale, qui est la première phase) :

1. D’abord, on essaye les nouvelles techniques ou les nouveaux médicaments sur des volontaires sains, bénévoles ou non. On ne fait aucune expérimentation sans avoir obtenu au préalable le consentement éclairé. A noter que l’on ne peut pas être volontaire au-delà d’un certain nombre d’expérimentations, de sorte qu’on ne peut pas vivre de ces expérimentations.

2. Puis on passe à des populations de malades ciblés et consentants.

Les sociétés pharmaceutiques souhaitent bien sûr accélérer le passage à l’expérimentation humaine. D’où les enjeux sur la médiatisation des recherches.


Le professeur R pratique et enseigne la médecine légale.

Du point de vue d’où vous parlez, quelles sont les techniques médicales les plus utiles, les plus dangereuses ?

Il faut distinguer deux ordres pour évoquer les techniques médicales : les techniques ne sont pas les mêmes, ou ne sont pas employées aux mêmes fins, selon qu’on se situe sur le plan de la recherche fondamentale ou sur celui de la recherche clinique.

Le domaine de la médecine légale est un domaine très particulier, dans la mesure où tout ce qui s’y fait prend place dans le strict champ de la loi. Les autopsies scientifiques, qui débordaient naguère le strict champ des investigations judiciaires, sont maintenant interdites. Aujourd’hui, l’autopsie peut être définie comme la saisie juridique du corps, et à cette saisie, aucune opposition n’est possible. L’autopsie est une pratique complètement réglementée.

 

S’agissant de la relation médecin/patient : a) Quels problèmes constatez-vous ? b) Sur quels principes fonder cette relation ? c) Par quels moyens l’améliorer ?

Un des problèmes constatés, c’est par exemple le paternalisme. Mais aujourd’hui, le paternalisme est minoritaire. Le médecin doit en effet pouvoir prouver que le consentement a été obtenu. Le modèle qui prévaut est donc celui du dialogue et de la négociation.

Cependant, la déontologie précise que le consentement doit être éclairé. Le problème n’est ainsi plus celui du consentement (dont se passait parfois le médecin paternaliste), mais de la possibilité et de la manière d’éclairer le jugement. Or l’égalité des droits n’est pas l’égalité des jugements. Certains individus (c’est le cas au sein de la population carcérale) n’arrivent pas à bien évaluer ce qui est bon pour eux. On est là devant un problème évident de déficit cognitif, qui n’est évidemment pas envisagé comme tel par les textes (sauf en cas de débilité profonde et de mise sous tutelle).

On a pensé améliorer la relation médecin/malade en mettant davantage l’accent sur la responsabilité de l’institution médicale. Mais le concept de responsabilité, employé ainsi, n’est plus pertinent. Il devient handicapant : le résultat en effet est qu’il conduit les médecins à adopter une attitude défensive, à ne plus prendre aucun risque. Or la médecine ne peut avancer sans prendre des risques : notre époque inquiète, voire névrosée, a du mal à l’accepter, mais c’est une vérité première du progrès biomédical. Un concept plus pertinent est celui de conscience professionnelle, qui conduit à identifier et à juger les négligences ponctuelles. Obligation de moyen, mais pas de résultat.

 

Quelle est l’approche juridique en France, voire en Europe, de l’euthanasie ? de l’eugénisme ?

Les réponses apportées à ces problèmes sont variables d’une législation à l’autre. Pour l’euthanasie, on met en avant le droit de choisir sa propre mort. En France, il faut se référer au code de déontologie (art. 38, alinéa 2) qui refuse deux choses :

> L’acharnement thérapeutique.

> L’euthanasie active directe et indirecte. La première constitue un homicide. Pour la seconde, on considère qu’administrer des soins dont l’effet secondaire est de donner la mort revient à un homocide, volontaire ou non selon les cas. Exemple : administrer de la morphine à dose léthale.

Ce qui est reconnu, ce sont les soins palliatifs. Ex : la morphine à dose antalgique et l’accompagnement du patient à la mort.

Dans la pratique hospitalière, on sait que ces lois sont formelles : beaucoup d’équipes sont confrontés à la souffrance atroce des patients en phase terminale, et un certain d’entre elles pratique l’euthanasie active. Faut-il l’officialiser, comme les Pays-Bas ? Ce n’est pas certain. Vous savez bien des choses peuvent se nouer entre un patient et son médecin, sous le sceau du secret médical.

 

En médecine légale, êtes-vous amené à collaborer aux investigations policières, notamment l’étude de l’ADN sur les scènes de crime ?

Pas personnellement, car je n’ai pas de formation de généticien. Mais certains de mes collègues ou de mes connaissances le font, parfois dans le cadre d’entreprises privées (certaines expertises médico-légales sont confiées au privé). C’est un domaine en pleine expansion, car la signature ADN offre une certitude quasi-totale sur l’identité du criminel. La probabilité de confondre deux ADN est inférieur à une chance sur dix millions. Cela permet aussi de limiter le spectre de recherche des enquêteurs. A ma connaissance, les Anglais sont les plus avancés en ce domaine : les laboratoires de la police scientifique travaillent là-bas sur des marqueurs ethniques (des mutations plus ou oins présentes selon l’origine) ou sur des prédicteurs de phénotypes (gènes liés à la couleur des yeux, des cheveux).



Le professeur C. enseigne à une faculté de médecine de Province et fait partie d’une équipe de recherche fondamentale.

Quelle différence peut-on faire, dans la recherche biomédicale, entre techniques cellulaires et techniques génétiques ?

Le génie génétique s’occupe essentiellement de l’analyse de l’ADN.

Les techniques cellulaires permettent de faire des expérimentations où l’analyse de l’ADN n’entre généralement pas en ligne de compte. Ex : l’analyse du fonctionnement des plaquettes sanguines. L’analyse de l’ADN n’intervient pas. Il faut pourtant nuancer, car les problèmes de plaquettes sont liés à des mécanismes génétiques. Il faut en fait distinguer deux niveaux dans l’analyse du vivant :

> Le génotype, qui est l’ensemble des gènes portés par l’ADN d’une cellule vivante, est l’objet du séquençage, c’est-à-dire du décryptage des structures moléculaires des gènes.

> Le phénotype désigne l’expression du patrimoine génétique au niveau des protéines.

Exemple : la thrombasthénie. C’est une anomalie du codage du gène pour la protéine, qui fait que les plaquettes ne coagulent plus. (Les plaquettes sanguines servent à coaguler). On retrouve le même genre de problème dans l’hémophilie.

Techniques génétiques et cellulaires sont donc liées, comme génotype et phénotype. Mais on travaille plutôt sur des mécanismes du génotype ou plutôt sur ceux du phénotype. Surtout, les techniques évoluent à une grande vitesse depuis une dizaine d’années, notamment grâce au séquençage et à l’annotation du génome humain, associé à la bio-informatique.

 

Existe-t-il une recherche purement fondamentale, coupée des problèmes cliniques et des besoins sociaux ? Une recherche réellement désintéressée est-elle possible ?

La réponse est oui. Il faut savoir que les scientifiques menant des recherches biomédicales de fond, bien souvent, ne sont pas des médecins, mais des biologistes. Ceux-ci travaillent dans des domaines prometteurs, qui les intéressent, sans forcément se soucier des retombées thérapeutiques. Ils travaillent sur des cellules (par exemple les cellules des globules blancs ou du pancréas) et montrent qu’on peut relier leurs recherches à des problèmes médicaux. Les praticiens, eux, veulent travailler sur des sujets qui concernent leur domaine, et c’est par ce biais qu’ils sont amenés à faire de la recherche fondamentale.

Il y a ainsi différence de motivation, mais pas de travail : pour les uns, c’est plutôt le jeu intellectuel qui est stimulant, pour les autres, c’est plutôt l’orientation expérimentale et thérapeutique.

 

Quels sont les domaines de recherche et les innovations qui promettent d’être féconds dans les années à venir ?

D’abord, on ne peut pas ignorer les thérapies géniques, même s’il faut faire attention à la manière dont elles seront mises en oeuvre. Elles seront sans doute utiles, par ordre de probabilité :

> pour les maladies monogéniques transmissibles ;

> pour les pathologies cancéreuses.

Deuxièmement, les recherches pluridisciplinaires, qui mêlent par exemple la chimie combinatoire, la connaissance des cibles (= repérage des gènes produisant des protéines) et le criblage (test en tubes permettant de fixer certaines cellules et de comprendre leurs mécanismes). La miniaturisation des puces (micro-arrays) progresse à pas de géant, ce qui démultiplie la précision des analyses.

Il y a aussi tout le travail sur les cellules-souches, embryonnaires ou adultes. Ce domaine intéresse beaucoup les chercheurs, mais il rencontre une forte opposition, dans l’opinion publique et chez les politiques. Pourtant, l’enjeu thérapeutique est réel : si l’on parvient à orienter la spécialisation des cellules pour obtenir des tissus spécialisés, le problème des greffes et du manque d’organes sera résolu. Bien mieux, on pourra régénérer des tissus malades, comme le myocarde par exemple.

 

Cela nous amène à nous demander quelles sont les innovations qui, si elles devaient être appliquées et extrapolées, seraient moralement problématiques.

Aujourd’hui, seuls le clonage reproductif et les modifications transmissibles du génome humain semblent faire l’objet d’un consensus international en vue d’une interdiction formelle. Qu’en sera-t-il demain ? Vous savez, les mentalités évoluent très vite. De plus, une législation mondiale serait très difficile à faire appliquer avec rigueur. Les moyens nécessaires à ces techniques ne sont pas très coûteux. Ce serait plutôt la qualification des chercheurs et des manipulateurs qui serait un frein. Autre problème : sait-on ce qui passe vraiment dans des pays autoritaires, comme la Chine ? Il circule pas mal de rumeur dans la communauté des chercheurs sur les travaux non publiés de certaines équipes chinoises sur le clonage.

 

De quelles précautions entoure-t-on l’expérimentation animale et humaine ?

Pour entrer dans une animalerie, il faut posséder un certificat validé par des vétérinaires. La provenance des animaux est rigoureusement contrôlée. La loi Huriet est aujourd’hui, en France, le cadre légal pour la recherche clinique.

S’agissant de l’expérimentation humaine, il existe des Comités consultatifs pour la protection des personnes. Tout projet d’expérimentation humaine passe devant ces comités pour qu’on juge le caractère éthique et l’intérêt scientifique des protocoles. Même les tests sanguins sont régis par cette loi : on n’a pas le droit de garder un peu de sang pour expérimentation.

 

Quel est le degré de responsabilité du chercheur ?

Le chercheur n’a pas de responsabilité juridique particulière. La recherche fondamentale n’est pas dangereuse. La cellule ne va rien révéler de dangereux. La responsabilité se situe au moment où l’on va appliquer la technologie. C’est un problème de conscience et de conviction.

Le premier principe, c’est qu’il faut préserver la liberté du chercheur. Ce n’est qu’en préservant cette liberté qu’on s’assure la possibilité de progrès dans la recherche. Comment contrôler alors ? Il existe un moyen de contrôle : celui des moyens financiers. C’est un moyen relatif, puisque l’Etat peut utiliser des moyens à des fins immorales. D’où l’utilité du contre-poids de la société civile. Il y a par exemple des contrôles d’experts. Les chercheurs sont favorables à la transparence, mais dans la limite où celle-ci est possible. La transparence est limitée par l’espionnage industriel, par la concurrence. L’exemple extrême, où la transparence est minimale, est fourni par les laboratoires militaires.

Les laboratoires sont donc globalement surveillés.

Voici un exemple qui résume bien les choses. Certaines toxines très dangereuses ont permis de mettre en évidence le mécanisme de cellules neuronales. Cela a conduit à la mise au point de médicaments. Or, en recombinant ces toxines, on peut faire des armes chimiques. Problème 1 : fallait-il travailler sur ces toxines ? Si on répond non, on prive des malades de médicaments. Si on répond oui, on rend possible la fabrication d’armes très dangereuses. Prb 2 : faut-il qu’il y ait transparence ? Si l’on répond oui, on prend le risque de voir certains petits Etats, en situation de conflit, se doter de ces armes. Si l’on répond non, on n’a plus de moyens de contrôler les chercheurs et les experts.

On peut dire que la réponse apportée à ces questions dépend de la conception de la société et de la recherche qu’on adopte. Les adeptes de la transparence totale se trompent en imaginant qu’elle serait la panacée : il existera toujours des individus pour faire un mauvais usage de l’information.