Religion et pathologie mentale

 

‘La conscience est la dernière et la plus tardive évolution de la vie organique, et par conséquent ce qu'il y a de moins accompli et de plus fragile en elle’.

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, 11.

 

 

Les pathologies comptent parmi les plus puissants agents de l'évolution. A chaque génération, les individus sont frappés : seuls les plus résistants survivent et se reproduisent. Notre système immunitaire et chacun de nos organes ont donc été sélectionnés pour leur résistance à la maladie.

Il se trouve que le cerveau est, comparativement, l'organe le plus jeune de notre espèce. Notre foie, notre estomac, nos reins ou nos poumons fonctionnent à peu près de la même manière que ceux des autres mammifères supérieurs omnivores. Il n'en va pas de même pour notre cerveau, qui a triplé de volume en quelques millions d'années et qui est doté de facultés tout à fait inédites comparativement aux cerveaux d'autres espèces.

A partir des deux points précédents, on peut faire une hypothèse évolutionniste : notre cerveau est sans doute la part de notre organisme la moins résistante aux pathologies, pour la seule raison qu'elle a connu, dans sa forme actuelle, une moindre durée de variation-sélection-adaptation permettant le tri évolutif. Notre cerveau, comme celui d'autres espèces cérébrées, est le centre de contrôle des principaux systèmes régulateurs du métabolisme (nerveux, endocrinien). Pour cette raison, il possède des moyens de défense contre les pathologies microbiennes classiques, notamment la barrière hémato-encéphalique qui régule strictement le passage des molécules contenues dans le sang. En revanche, le cerveau possède bien moins de défenses contre les maladies tenant à sa propre désorganisation interne, que celle-ci provienne d'un mauvais bagage génétique, de mauvaises conditions de développement ou des deux à la fois.

Cette hypothèse du cerveau malade est-elle corroborée par des faits ?

Il existe une première grande classe de pathologies, reconnue par tous même s'il existe des querelles de nosographie et d'étiologie. Ce sont les maladies psychiatriques et neurodégénératives (1), dont le nom vous est souvent familier : anxiété, dépression, schizophrénie, autisme, retard mental, X fragile, anorexie-boulimie, Alzheimer, Parkinson, etc. Toutes pathologies confondues, elles ont une prévalence extrêmement élevée : au moins un individu sur 10 sera touché dans sa vie (2), proportion qui augmente à mesure que la population vieillit (3). Ce taux aujourd'hui reconnu par l'OMS signifie qu'il y a actuellement 600 millions de " malades mentaux " dans le monde. Et le chiffre est sans doute largement sous-estimé : la médecine générale soigne et recense en premier lieu les maladies virales, bactériennes, parasitaires et tumorales, la psychiatrie restant une spécialité plus ou moins développée selon les Etats et leurs systèmes de santé.

Ces maladies organiques de l'esprit sont bien identifiées et communément admises. Mais il existe aussi une seconde grande classe de pathologies cérébrales, que nous pourrions appeler les " maladies mémétiques " (4). Ici, le dysfonctionnement ne tient pas à la malformation d'une aire cérébrale, au défaut de production, capture ou recapture d'un neurotransmetteur, à la dérégulation de synthèses protéiques ou à toute autre cause directement biologique.

Les maladies mémétiques sont des troubles cognitifs altérant le traitement de l'information externe que le cerveau opère normalement à partir de ses capacités symboliques, logiques et linguistiques. Plutôt que de voir le monde tel qu'il est et d'utiliser cette observation pour accroître sa connaissance, l'esprit se focalise sur un prisme cognitif évacuant toutes les informations qui le dérangent. Il développe en conséquence un certain nombre d'appréciations fausses et refuse de prendre en compte les faits qui, éventuellement, les contredisent.

Un exemple fort répandu de ces pathologies : la religion. Pour un esprit sensé, il est difficile de croire que le monde a été créé en six jours, qu'une tablette d'argile est apparue sur une montagne, qu'une mer s'est ouverte en deux pour laisser passer une horde de fuyards, qu'un individu mort sur une croix est réapparu vivant peu après, que cet individu marchait sur l'eau et était né d'une femme vierge, etc. Bien que fausses, de telles assertions ont pourtant une capacité étonnante à circuler de cerveaux en cerveaux. Richard Dawkins les a qualifiées à juste titre de " virus mentaux ", vivant et prospérant comme leurs homologues biologiques aux dépens des cellules cérébrales qui les hébergent et les transmettent. Notons au passage que les religions ne sont pas seules en cause. L'idéologie marxiste, la psychanalyse freudienne ou l'astrologie divinatoire sont des exemples de maladies mémétiques modernes.

L'autre aspect pathologique des religions tient aux actes que commettent leurs fidèles. Ce trait est plus marqué pour les religions monothéistes, dont les textes fondateurs portent par ailleurs la marque de pathologies organiques classiques (Moïse et Mahomet étaient semble-t-il épileptiques ; Ancien Testament, Nouveau Testament et Coran comportent des passages à l'évidence rédigés par des individus monomaniaques, paranoïaques, phobiques, anxieux, etc.). Vouloir tuer un inconnu au seul prétexte qu'il ne partage pas la même foi que soi relève d'un cerveau malade, incapable de gérer une interaction sociale autrement que sous l'angle de la destruction ou de la conversion. Subir des mortifications corporelles au seul prétexte qu'une entité abstraite a décrété la dimension pécheresse de la chair ne vaut guère mieux. Quant à conformer son jugement personnel à celui d'une autorité externe n'ayant d'autre légitimité que son existence, cela témoigne au minimum d'une carence en bon sens comme en intelligence.

Pourquoi les croyances fausses, religieuses ou laïques, sont-elles donc à ce point répandues ? Sans doute parce qu'elles sont inscrites dans le fonctionnement même du cerveau. L'anthropologue Pascal Boyer, dont la démarche s'inscrit dans les sciences cognitives et la psychologie évolutionnaire, souligne que les schémas conceptuels des systèmes de croyance n'apparaissent pas tout à fait par hasard. Ils mettent en scène des agents surnaturels (dieux, esprits, ancêtres) qui entretiennent avec les vivants des types précis de rapports. Le cerveau possède des catégories ontologiques (vivant, mort, personnes, objet naturel, objet artificiel, etc.) et des systèmes d'inférence " naïfs " (intuitifs/empiriques) liés à des situations pratiques. Les croyances ne font que s'immiscer dans cette organisation cérébrale en la parasitant d'informations fantaisistes.

Plus précisément, les croyances violent des catégories ontologiques dans une certaine limite. Par exemple, la croyance selon laquelle un arbre peut entendre et retenir une conversation est susceptible d'entrer dans le répertoire religieux, car il s'agit d'un transfert relativement plausible de catégories ontologiques (la catégorie plante devient dotée d'une faculté 'invisible' appartenant à la catégorie homme). Inversement, l'idée qu'un arbre peut se déplacer la nuit pour punir les menteurs est trop improbable pour nourrir une croyance, car le cerveau n'associe pas la locomotion, phénomène visible et familier, à la plante, de sorte que la violation de nos inférences spontanées entre catégories ontologiques est ici trop forte. Exemple plus familier à notre culture : 'nous vénérons cette femme car elle a mis au monde un enfant tout en étant vierge' est une proposition plus acceptable pour le cerveau croyant que les propositions 'nous vénérons cette femme car elle a eu 27 enfants'(la violation n'est pas assez caractérisée pour doter l'individu de pouvoirs surnaturels) ou 'nous vénérons cette femme car elle a donné naissance à des statues'(la violation est trop forte entre les catégories 'hommes'et 'artefacts').

Outre ces mécanismes spontanés de classification et d'inférence, les croyances utilisent également les nombreuses erreurs et illusions cognitives que produit notre cerveau immature.

Les exemples sont nombreux :

- l'effet de consensus (on tend à aligner sa perception d'un phénomène sur celle du plus grand nombre autour de soi),

- l'effet de génération (on mémorise mieux les détails, réels ou imaginaires, que l'on ajoute soi-même à une scène),

- la confusion des sources (l'oubli de l'origine exacte d'une information empêche le cerveau de la recouper avec d'autres),

- le biais de confirmation (lorsque l'on adopte une hypothèse, on a tendance à retenir ce qui la confirme et à exclure ce qui l'infirme),

- la réduction de dissonance cognitive (nous trions et réorganisons les informations mémorisées afin d'obtenir un tout cohérent)…

Ces biais cognitifs sont présents chez l'Homo sapiens adulte, et plus encore enfant. Comme les enfants sont génétiquement programmés à croire leurs parents (facteur de survie) et comme leur cerveau organise progressivement sa vision du monde de la naissance à la post-adolescence, on comprend que les croyances solidement implémentées durant cette période sont difficiles à extraire par la suite. Et qu'elles ont tendance à se transmettre de génération en génération, par un processus d'évolution culturelle partiellement comparable à l'évolution biologique.

La religion s’est ainsi transmise comme une erreur utile pour cerveaux émergents. Elle doit désormais mourir comme erreur inutile de cerveaux évolutifs.



 

A lire


> Pascal Boyer, Et l'homme créa les dieux, Robert Laffont, 2001.

 

Notes

(1) Bien sûr, la prévalence de ces pathologies ne s'explique pas seulement par la faible durée de la pression sélective exercée sur le cerveau. D'une part, les changements d'environnement jouent aussi un rôle. La dyslexie n'est pas une maladie tant que l'écriture n'existe pas ; l'expression de l'anxiété ou des phobies est accentuée par les conditions de vie modernes, etc. D'autre part, il est probable que certains gènes impliqués dans ces pathologies le sont aussi dans l'expression de capacités cognitives normales, voire supérieures (cf. par exemple certaines associations entre génie, autisme et trouble bipolaire).

(2) Chiffre qui ne prend pas en compte les " Troubles de la personnalité ", catégorie très large du DSM-IV.

(3) La montée en flèche de Parkinson et Alzheimer est directement corrélée au vieillissement. Ici, l'explication évolutive joue à plein : la sélection agit principalement avant et juste après l'âge reproductif (0-40 ans pour Homo sapiens), beaucoup moins ensuite, puisque la mort de l'individu a un effet moindre sur sa fitness et celle de ses apparentés. Cela vaut pour toutes les maladies à déclenchement temps-dépendant (comme le cancer).

(4) Rappelons que le mème est un mot inventé par Richard Dawkins, par analogie au gène, pour désigner les unités fondamentales de représentation qui se transmettent de cerveaux à cerveaux, horizontalement et verticalement, et qui sont comme telles soumises au processus de variation-sélection propre à l'évolution. Le syntagme " Hip hip hourra ! " est un exemple de mème. La proposition " Dieu a créé le monde " également.


La religion est-elle un piège à con ?

Corrélation négative
du QI et de la religiosité

 

Le site Gene Expression est une zone de libre échange pour bons esprits. L'un d'entre eux s'est amusé à comparer deux données : le degré de religiosité des pays (tel que mesuré par les sondages du Pew Reearch Center) et le QI moyen de leur population (tel que mesuré par R. Lynn et T. Vanhanen in "IQ and the Wealth of Nations", Praeger Press, 2002). Le tableau est donné en annexe.

Il en ressort une corrélation fortement négative entre religion et intelligence : -.886. Ce chiffre est supérieur aux corrélations négatives déjà constatées entre QI et PNB/Habitant (-.757). Il est à noter que les Etats-Unis d'Amérique sont le seul pays cumulant une religiosité importante et un QI relativement élevé.

Bien sûr, une corrélation n'est pas une causalité : la corrélation entre pauvreté et religiosité aurait certainement donné des résultats équivalents (puisque QI et pauvreté sont eux-mêmes négativement corrélés). Les nombreuses études d'adoption montrent toutefois que le QI d'un enfant adopté est plus proche de celui de ses parents biologiques que de ses parents adoptifs, et cela quel que soit le milieu social de ces derniers. Cela incite à penser qu'un faible QI est la cause commune de la pauvreté et de la religiosité, celle-ci faisant peut-être celle-là…

Alors : religion piège à cons ?

 


Sources :

 

Site Gene Expression

http://www.gnxp.com/MT2/archives/001523.html

 

Sondage du Pew Research Center

http://www.queensu.ca

 

Données de Richard Lynn

http://www.rlynn.co.uk/pages/article_intelligence/t3.htm


1) Country

2) % who say religion important (Pew survey)

3) IQ (from Lynn & Vanhanen)

Angola 80 69

Argentina 39 96

Bangladesh 88 81

Bolivia 66 85

Brazil 77 87

Bulgaria 13 93

Canada 30 97

Czech Republic 11 97

France 11 98

Germany 21 102

Ghana 84 71

Great Britain 33 100

Guatemala 80 79

Honduras 72 84

India 92 81

Indonesia 95 89

Italy 27 102

Ivory Coast 91 71

Japan 12 105

Kenya 85 72

Mali 90 68

Mexico 57 87

Nigeria 92 67

Pakistan 91 81

Peru 69 90

Philipines 88 86

Poland 36 99

Russia 14 96

Senegal 97 64

Slovakia 29 95

South Africa 87 72

South Korea 25 106

Tanzania 83 72

Turkey 65 90

U.S. 59 98

Uganda 85 73

Ukraine 35 96

Uzbekistan 35 87

Venezuela 61 88

Vietnam 24 96