Au-delà du dressage humaniste.
Vers une nouvelle domestication de lhomme
Nous annoncions il y a quelques semaines la sortie imminente dun ouvrage dYves Michaud, professeur de philosophie et concepteur de lUniversité de tous les savoirs, à propos de luvre de Sloterdijk et de la Mutation. Aussi bref soit-il, le livre dY. Michaud intitulé Humain, inhumain, trop humain[1] est le premier, à notre connaissance, qui fasse le point sur luvre du philosophe allemand, réussissant au passage à soulever un certain nombre de questions fondamentales. Ainsi, Michaud pose clairement le problème de savoir quel genre dêtres humains nous voulons être, et si nous voulons encore être humains. Lalternative est posée : ressasser de stériles appels à la prudence, à un moment de basculement historique décisif, ou larguer les amarres humanistes pour entrer dans le monde des mutants surhumains ou post-humains (par auto-amélioration, dopages, création dêtres hybrides, etc.). Michaud reconnaît de ce fait, sans vraiment trancher, que la Mutation représente une des voies pour sortir du nihilisme conservateur.
Dans les lignes qui vont suivre, nous tentons notre propre exploration des thèses de Sloterdijk, auteur contemporain qui occupe la chaire de philosophie et desthétique à lécole des Beaux-arts de Karlsruhe depuis 1992. Nietzschéen de gauche, il se fait remarquer dès 1983 grâce à la publication de sa Critique de la pensée cynique, qui lui vaut la reconnaissance de Michel Foucault. Mais le philosophe ne devient célèbre quavec la fameuse « affaire » qui commence le 17 juillet 1999, au château dElmau en Haute-Bavière. Ce jour-là, à loccasion dun colloque consacré à la pensée de Heidegger et de Lévinas, lauteur prononce devant un parterre choisi une conférence intitulé « Règles pour le parc humain. Réponse à la Lettre sur lhumanisme ». Sloterdijk y proclame sans ambages la fin de lhumanisme et la venue dune domestication inédite de lêtre humain. Cest le point de départ dun scandale retentissant. Mais cest avec un autre texte, La domestication de lêtre, que Sloterdijk a pu déployer pleinement sa réflexion. Cest donc par une analyse de ce dernier ouvrage que nous commencerons, avec le souci de montrer que luvre de Sloterdijk, loin dêtre un point darrivée, nest au contraire quun prélude à la Mutation. Cest ainsi que, nous emparant du concept d« hyperpolitique » réactivée par le philosophe allemand, nous montrerons comment il peut sinscrire dans un nouvel horizon.
Lessence humaine comme produit technique
Lêtre humain nexiste sous le signe ni du divin ni de lanimal, mais du monstrueux. Les modes par lesquels lhomme sinstruit, se transforme et se défait, le rende étranger à lui-même, laliène au sens propre ; il se retrouve aux prises avec un Etranger, un Autre insaisissable, mais que son être a pourtant enfanté, comme lAlien de Ridley Scott, ou le cafard de Franz Kafka. « La clairière que le premier homme a vue lorsquil a levé la tête est la même que celle où se sont abattus les éclairs dHiroshima et de Nagasaki ; cest cette même clairière dans laquelle, dans la nuit des temps, lhomme a cessé dêtre un animal dans son environnement et dans laquelle on entend à présent le bêlement des animaux fabriqués par lhomme. »[2] Véritable poème présymphonique sur laube de lhumanité, avant le coup de cymbale de la geste historique, luvre de Sloterdijk scrute lorigine technicienne de lhomme, « gardien du feu nucléaire et scribe du code génétique »[3], qui sest dénaturé avant de démonter, puis de reconstruire le physique et le biologique.
Sloterdijk entend rendre compte du devenir humain à partir dune anthropologie dont il dessine les contours dans La domestication de lêtre. Il distingue pour ce faire quatre caractéristiques fondamentales : linsulation, la suppression des corps, la néoténie et la transposition.
Linsulation désigne la recherche par les organismes de niches les mettant à labris de la pression sélective. Reprenant les travaux de Dieter Claessens et de Hugh Miller, le philosophe allemand avance lidée que lhominisation sest accompagnée de la constitution dune « serre », dun « utérus » artificiel, dune « couveuse » protégeant les hommes de la pression de la sélection naturelle. Ce processus se met en place avec les troupeaux et les hordes danimaux, protégeant les petits et les plus faibles dune sélection impitoyable. Dès lors, lévolution humaine nest plus, aux yeux du philosophe, strictement darwinienne, mais « insularisée ». Autrement dit, lévolution nest plus une adaptation.
La suppression des corps est un effet direct de cette évolution insularisée et un mécanisme central de lanthropogenèse, repéré par Paul Alsberg. Il sagit de suspendre la relation trop rigide de lorganisme à son environnement au profit dune relation plus maniable et plus souple, à savoir la maîtrise technique. Cette dernière sinaugure dans larticulation de la main et de loutil, dont les deux premières manifestations sont le jet (relation au lointain) et le coup (relation au proche). Cest lusage de la pierre qui fait lhomme. Or, les succès objectifs des techniques préfigurent, dans le rapport au monde physique, les symboles et les discours vrais dans le rapport à lêtre. Plus le corps shumanise, plus la relation au monde sintellectualise, et moins les lois biologiques sont seules déterminantes.
Troisième caractéristique : la néoténie. Forgé en 1885 par le biologiste J. Kollmann, pour désigner la prolongation et la stabilisation de formes juvéniles jusque dans des états adultes ou pubères, cette notion devient particulièrement importante dans lanalyse de la singularité humaine. Grâce à la « serre » modelée par les techniques, lêtre humain peut conserver des caractéristiques ftales jusque dans la vie extra-utérine. Il naît immature, et le reste tout le temps de sa longue formation, lui-même transformé par les techniques de la « serre » humaine (la technosphère). Pour que lenfant humain atteigne à la naissance le degré de maturité dun petit primate, « prématuré » par rapport à dautres espèces de mammifères, il lui faudrait une gestation de vingt et un mois. La société joue ainsi le rôle dune immense couveuse. Notre grande plasticité cérébrale de départ nest pas autre chose quun des traits de notre immaturité et na pas dautre fonction que de permettre un modelage conforme à la « serre ». Le libre développement de lintelligence est donc une conséquence de la néoténie, qui a elle-même pour condition de possibilité linsulation, dans la mesure où le fruit principal de la « couveuse » est la structure du cerveau. Cest pourquoi le lieu même de lépanouissement de lhumain est la sphère domestique, la maison comme unité minimale de la « couveuse ». Or la figure essentielle de la maison, cest la communauté symbolique dans laquelle nous évoluons, cest-à-dire la culture.
Avec la culture débute une auto-domestication consciente. Qui dit dénaturation dit « apprivoisement », qui dit vivre en « serre » dit « élevage » et « dressage ». Nous en reparlerons plus loin à titre de conséquence essentielle et inévitable des trois premiers traits de lanthropogenèse.
Reste le dernier trait considéré par Sloterdijk, la transposition. Avec lapparition de la « serre » et la disparition graduelle de lévolution strictement biologique, toutes les pressions de lenvironnement ne sont pas pour autant éliminées. Dune certaine manière, elles sont même renforcées, puisque lhomme est plus vulnérable à leurs atteintes : la sauvagerie des bêtes, les agressions virales et microbiennes, les catastrophes naturelles peuvent toujours resurgir et nous frapper. Pour conjurer le traumatisme de ce genre dirruptions de lenvironnement, les hommes ont inventé des mécanismes de transposition, comme les religions. Il sagit de remettre en forme, de restaurer dune façon ou dune autre, en la déplaçant sur un nouveau plan de compréhension, la situation antérieure. Or cest limagerie de lhabitat premier qui console, doù la nostalgie dun Paradis perdu, dun âge dor oublié. Ce processus de transposition concerne les relations humaines en général, les déplaçant en permanence sur de nouveaux plans où elles acquièrent un sens culturel. Cest dans cette mesure que lhomme est un être métaphorique. Et cest par le langage que cette transposition continuelle est rendue possible. Grâce au langage, on peut faire du monde lui-même une maison habitable.
Des
moyens de dresser lanimal humain
La technosphère, que Sloterdijk appelle la « serre » ou la « couveuse », doit remplacer les mécanismes de la sélection naturelle par dautres moyens de sélection. Galton avait attiré lattention sur ce problème avec violence, en préconisant des méthodes eugéniques. Il nempêche quon ne peut faire léconomie dune réflexion fondamentale sur les antropotechniques, à savoir les techniques dauto-transformation et dauto-éducation utilisées par lhomme, sous peine de voir lhumanité régresser à létat animal. Dès lors, que sont ces anthropotechniques ? Lauteur précise quon ne peut les décrire quen dehors du champ métaphysique et de la logique qui le sous-tend. La pensée métaphysique est structurée par une logique bivalente, basée sur des dualismes comme lêtre et le non-être, le sujet et lobjet, la raison et le sensible, etc. Mais la catégorie des artifices humains ne peut être comprise sur ce mode. Avec loutil, et plus encore la machine, nous avons affaire à une troisième instance : « lesprit objectif », cest-à-dire lintelligence sédimentée dans des objets fabriqués. Le corps humain lui-même est « informé » par nos techniques. Cette catégorie ontologique ne peut être abordée que sous langle de la théorie des systèmes et du concept dinformation. Les techniques du génie génétique, en particulier, rendent caduque lopposition nature / culture.
Comment dresser et socialiser lanimal humain ? Par quels modes techniques ériger la sphère domestique où doivent coexister les individus et les communautés ?
A ces questions, une réponse a émergé dune tradition particulière, lhumanisme, en partie héritée des Anciens Grecs et des Romains, et qui, trouvant son ancrage juridique et séculaire sous la Révolution française, court jusquau milieu du XXème siècle. Louvrage sulfureux de Sloterdijk, Les règles du parc humain, se donne précisément pour tâche détablir la généalogie de lhumanisme : dabord « télécommunication » entre amis lettrés, sous les formes épistolaire et théorique[4], lhumanisme sest progressivement déplacé pour devenir le principal moyen de dressage et déducation, en amenant par exemple toute une classe dâge à posséder les mêmes références culturelles, par lexercice de la lecture des classiques. Selon cette tradition, par les humanités (les disciplines scolaires) et la pédagogie, une société peut créer des valeurs communes, et par là même éduquer lhomme.
Développons la thèse de Sloterdijk. On connaît les formes principales de la culture humaniste, représentés trivialement par le couple de la « carotte » et du « bâton » : la liberté du jugement et la promotion sociale, assurées par lEcole au nom de légalité de droits, et la sanction, déclinée par toute une gamme de punitions et fondée sur le principe de la responsabilité individuelle.
LEcole devait « dresser » lenfant et lui fournir des références culturelles communes (les « classiques »), servant de cadres intellectuels et culturels, mais aussi de normes de comportement. Ce dispositif a un présupposé : loin de tout angélisme, il conférait à léducation le rôle de rectifier la nature rebelle du petit animal humain. LEcole vise une « débestialisation ». Il ne supposait pas seulement lidée évidente quil ny a pas dêtre humain accompli sans culture, et pas de culture sans communauté desprit (sans objets culturels communs), car cela, tout peuple le savait, et lappliquait. Il sagit dun projet beaucoup plus contraignant, qui devait conduite à la dé-naturation de lindividu, ainsi que, sur le plan politique, à lhomogénéisation de tout lespace contrôlé par lEtat (territoires, pouvoirs locaux, coutumes). Léducation humaniste supposait la contrainte, dont larme politique était la centralisation, cest-à-dire larasement des cultures locales. Cest ainsi quon a éduqué les enfants et les peuples.
Or, si lindividu résistait trop au dressage, refusait les contraintes, cest-à-dire cette communauté de valeurs forcées qui allait devenir nationale, il devait en payer le prix. Cest alors quintervenait la sanction, dont la valeur se voulait toujours exemplaire. Lindividu récalcitrant risquait de passer, par toute une série dintermédiaires, de lEcole à la prison.
Aujourdhui, remarque Sloterdijk, ces institutions et ces valeurs sont en crise, et cest tout le projet de la politique humaniste qui se trouve du même coup brutalement remis en cause. Nous sommes entrés dans une ère « post-épistolaire », « post-littéraire » - et par là même, « post-humaniste ». LEcole par exemple se voit érodée en amont, avec la déstructuration de la famille et du tissu social, tout comme en aval, avec la crise du travail. Elle est de plus en plus concurrencée par les techniques de communication (télévision, ordinateur personnel, Internet, ). Le traitement pénitentiaire des pathologies sociales, sil nest plus considéré comme lunique remède, est encore largement majoritaire et, par des processus accélérés de décomposition sociale, ne fait bien souvent que renforcer les problèmes et conduire à un cercle vicieux.
Si lon veut maintenant diagnostiquer plus en profondeur laffaissement de lhumanisme, on devra prendre en compte la bifurcation qui se produit au XVIIIème siècle : aussi curieux que cela paraisse, la Révolution française consacre la victoire de lhumanisme (notamment à travers ses déclarations de lhomme et du citoyen), en même temps quelle en programme le déclin. Parce que la Révolution française marque lemprise et annonce lempire de la science, parce quelle va favoriser le règne des ingénieurs au détriment des lettrés (les humanistes au sens strict). Bailly est astronome et député aux Etats Généraux, Condorcet est mathématicien et conseiller de Turgot, Lazare Carnot est analyste et président du Comité de Salut Public, Laplace et Fourier sont physiciens, le premier rentre au Sénat et lautre à la préfectorale, tandis que Bonaparte est géomètre de formation. Les textes et rapports de cette période le répètent à lenvi, les sciences sont préférées aux humanités, et les sciences appliquées aux fondamentales. La création de lEcole Polytechnique en 1794 est à cet égard éloquente. Toute la grande tradition des aristocrates lettrés sarrête là, et lon connaît encore les effets à retardement sur la culture de ce point darrêt. Nos sociétés se disent volontiers techniques, comme si les sociétés ne lavaient pas toujours été. Un véritable changement sest néanmoins produit : ce sont les sciences et les techniques qui désormais confèrent le vrai pouvoir, puisque rien ne peut se faire sans leurs innovations et leurs moyens dexpertise. Un quarteron de physiciens concluent en deux coups la Seconde Guerre Mondiale ; les ingénieurs en télécommunications et les informaticiens révolutionnent les moyens de traiter linformation et de communiquer. Sous la double pression des sciences et des techniques, léducation par les humanités a progressivement cédé la place à la course aux compétences. Peu importe que lenfant soit mal « dressé », du moment quil soit compétent, de cette compétence technique ou scientifique qui assure lascension sociale. On se préoccupe moins de rectifier la nature rebelle de lenfant que délever le niveau général des compétences. Il sensuit que les modes de sélection se sont largement modifiés.
Pourtant, à un moment où léducation est laissée de côté (nos professeurs, du primaire au supérieur, sont des enseignants et non des éducateurs), la question que nous posions au départ se refait entendre de manière accrue : comment socialiser ? Comment y parvenir dans une société de plus en plus complexe, alors que les pathologies sociales empêchent un grand nombre dindividus dacquérir le minimum requis et que lenivrement médiatique produit une désinhibition grandissante ? Sloterdijk note ailleurs : « La perte de lhéritage nest que le commencement. Sy ajoute, au niveau spirituel, le désenchantement, lhébétude. Beaucoup de personnes perdent et oublient leurs qualités de médiateurs. Ces gens-là deviennent de maussades consommateurs finaux de biens et dinformations. »[5] La question se pose dautant plus que, grâce aux avancées de la génétique et de la recherche biomédicale, on voit se mettre en place des contrôles biologiques du comportement et de nouvelles pratiques eugéniques anonymes (au nombre desquelles lavortement thérapeutique).
A lère du post-humanisme, quel bilan faut-il faire ? Lheure approche du « combat entre les éleveurs du petit homme et les éleveurs du grand homme on pourrait aussi dire entre les humanistes et les superhumanistes, les amis de lhomme et les amis du surhomme. »[6] Les antropotechniques ont changé de visage et de sens : de techniques essentiellement littéraires et culturelles, nous sommes passés à des techniques de transformation de la matière (nucléaire, génétique). Lauto-domestication transite par une transformation de plus en plus radicale du monde. Doù la nécessité dun « code des antropotechniques »[7] à la hauteur des décisions politiques concernant lespèce. Un tel code pourrait inclure ce que nous appelons la bioéthique, à condition que celle-ci nen reste pas à de stériles moratoires, à de pieuses recommandations obtenues sous la pression de lobbies, ou à de vagues principes à propos du respect de la personne humaine. Sloterdijk a tenté déclaircir ce problème dans Les règles du parc humain, non sans provocation dailleurs, en se demandant si une anthropotechnologie future natteindra pas le stade d« une réforme génétique des propriétés de lespèce »[8]. Un point est indubitable : lartificialité concerne et concernera de plus en plus daspects de notre existence, parce que lanthropogenèse est technomorphose. Lhomme lui-même est essentiellement un produit technique. Il napprend ce quil est que par analyse de ses propres objets.
De telles interrogations ne doivent pas immédiatement alimenter tous les fantasmes. Contrairement à leugénisme des années 30, ce nest plus lEtat qui décide, mais lindividu, assisté et éclairé par linstitution médicale. Reste que les assureurs et les employeurs, ayant tout intérêt à connaître létat de santé dune personne avant la signature dun contrat, pourraient exercer des pressions au niveau politique et découvrir les moyens juridiques de violer le secret médical (cest dailleurs déjà le cas, le code pénal français légitimant, dans son article 225-1, les questionnaires de santé pour les contrats dassurance). On voit dès lors le contrôle biologique du comportement, tout comme leugénisme, se déplacer de la sphère publique vers la sphère privée, supposition que vient confirmer la logique libérale de la mondialisation.[9] Il faut donc codifier lartificialité sur les bases de lautonomie et chercher à comprendre comment, par linteraction de tous les individus disposant librement deux-mêmes, peut se poursuivre une antropogenèse maîtrisée.
La
sélection artificielle
Avant dapporter nos propres éléments de réponse à linterrogation de Sloterdijk, il est nécessaire de formuler une réserve. Sloterdijk veut montrer que lhominisation répond à une dynamique de moins en moins darwinienne. La démonstration est intéressante (mettant laccent sur la part artificielle de notre humanité), mais pas définitive. En effet, le principe de base du darwinisme, à savoir la sélection des variations avantageuses à ladaptation, ne se confond pas avec la sélection naturelle. La sélection peut être aussi bien naturelle que culturelle, porter sur lenvironnement biologique ou social. Certes, la théorie du néo-darwinisme sapplique dabord à lordre biologique, en révélant que lenvironnement sélectionne les mutations génétiques favorables à la survie et à la reproduction des organismes individuels. Mais elle peut être extrapolée avec succès aux faits sociaux, ce qua entrepris la discipline de la mémétique : les mèmes, unités culturelles élémentaires (quil sagisse de concepts, de slogans ou de modes vestimentaires), sont sélectionnés à partir du moment où ils sortent vainqueurs de la concurrence des phénomènes culturels et apportent un avantage adaptatif à celui qui les véhiculent. K. Popper, par exemple, avait brillamment montré que la production des théories scientifiques suit une logique darwinienne, dans la mesure où une hypothèse ne peut être sélectionnée par la communauté scientifique que si, par un processus dessais et derreurs, elle passe tous les tests délimination avec succès.
Cependant, la sélection naturelle elle-même est loin de ne plus concerner les êtres humains et les faits sociaux. Cest ce que montre notre analyse « Darwinisme ou barbarie », auquel nous renvoyons ici.
Par suite, si le devenir humain saccomplit par lartificialisation, ce ne peut être en rupture radicale avec la logique darwinienne (bien que lhominisation puisse se poursuivre par dautres moyens que biologiques), mais conformément à une théorie de la sélection élargie aux objets culturels. Du reste, cette dernière pourrait jouer le rôle que Sloterdijk attribuait à la théorie des systèmes et de linformation : une théorie de la sélection élargie serait à même de traiter les phénomènes « intelligents » (techniques et culturels, aussi bien chez les hommes que chez les animaux). Cette théorie, les Mutants ont commencé à la développer, avec le principe de lauto-sélection (voir le texte du même nom) et lhyperpolitique (voir les textes suivants).
[1] Humain, inhumain, trop humain , Réflexions philosophiques sur les biotechnologies, la vie et la conservation de soi à partir de luvre de Peter Sloterdijk, Paris, Climats, mars 2002.
[2] La domestication de lêtre, Paris, Mille-et-une-nuits, 2000, p. 34.
[3] Ibid., p. 35.
[4] Règles pour le parc humain : Une lettre en réponse à la Lettre sur lHumanisme de Heidegger, Paris, Mille-et-une-nuis, 1999, p. 7.
[5] Essai d'intoxication volontaire, Calmann-Lévy, 1999, p. 98.
[6] Règles pour le parc humain, p. 38.
[7] Ibid., p. 42.
[8] Ibid., p. 43.
[9]
Sur ce point, nous renvoyons à notre texte sur lAutosélection