Etes-vous stratégie [K] ou stratégie [r] ?
Le vivant connaît deux grandes stratégies pour se reproduire : la qualité et la quantité. Dans le domaine biologique, on parle de stratégie [K] et de stratégie [r]. Vous ne connaissiez pas ces notions ? Bienvenue dans un monde plus dur
La notion de stratégies [r] et [K] a été proposée par Robert MacArthur, voici une quarantaine dannées, dans le cadre dune approche mathématique de la biologie des populations. Elle a ensuite été généralisée par E.O. Wilson. Par [r], MacArthur désigne le taux intrinsèque de croissance dune population, sans inclure les limites imposées par lenvironnement. Il sagit bien sûr dune valeur abstraite, ne tenant pas compte de la réalité (toute population rencontre un jour ou lautre des contraintes de milieu). Par [K], MacArthur désigne la capacité de maintien, cest-à-dire la taille maximale quune population peut atteindre et maintenir dans un habitat particulier sans en épuiser les ressources au point de devoir ensuite diminuer.
Une espèce sera dite stratégie [r] si la sélection naturelle lui a permis de maximiser [r] dans son environnement. Concrètement, cela se traduit par un grand nombre de descendants, un faible investissement parental dans la survie de chaque descendant, une grande mortalité infantile, une vie courte, un développement rapide, une reproduction précoce, une mortalité adulte importante, une faible compétition intraspécifique, etc. Un modèle vivant : lhuître. Elle pond des centaines de millions doeufs dont quelques milliers seulement pourront croître.
Une espèce sera dite stratégie [K] si la sélection naturelle la contrainte à limiter le nombre de descendants dans un environnement donné et à en optimiser lappropriation des ressources. Concrètement, cela se traduit par un faible nombre de descendants, un fort investissement parental dans la survie de chaque descendant, une mortalité infantile moindre, une vie longue, un développement lent, une reproduction retardée, une compétition intraspécifique forte, une mortalité adulte sévère mais diversement répartie, etc. Un modèle vivant : le gorille. Il na que quelques descendants dont la survie dépend des soins et de la défense du territoire, ainsi que dun approvisionnement constant en ressources alimentaires demandant un effort de cueillette.
Bien sûr, [r] et [K] forme un continuum et la place dune espèce y est toujours relative : le lapin est [K] par rapport à lhuître mais [r] par rapport au gorille. De manière générale, les insectes sont plutôt [r] et les mammifères plutôt [K]. Au sein dune espèce, il peut exister de même une variation entre individus et entre groupes dindividus (toujours en fonction des contraintes denvironnement).
Il faut avoir en tête quil sagit là doutils statistiques valables pour analyser lévolution des populations, et non le comportement de tel ou tel individu en particulier. Par ailleurs, nous parlons ici de stratégies , et non de comportement . La stratégie [r] dune huître est en fait un anthropomorphisme, impropre à désigner le comportement réel de lhuître (comme de ses gènes). Dans le cadre de lespèce humaine, les stratégies [K] et [r] doivent bien sûr inclure la prévisibilité de lenvironnement, puisque lhomme est un animal conscient. La stratégie [K] dun être humain est donc une réalité, dans la mesure où il possède la capacité dobserver son milieu social et naturel, de comptabiliser ses ressources, de maîtriser sa procréation, danticiper son avenir et celui de ses enfants, dévaluer les attitudes des autres.
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En 1966, George C. Williams soulignait : Le rôle essentiel dun mammifère mâle peut sarrêter avec la copulation, qui demande une dépense négligeable en énergie et en matière de sa part, et seulement une perte momentanée dattention pour ce qui concerne sa sécurité et son bien-être. La situation est très différente pour la femelle, pour qui la copulation peut signifier un engagement pour une charge prolongée, au sens mécanique et physique, avec le stress et les dangers attenants .
A partir de cette intuition, Robert Trivers a proposé en 1972 la théorie de linvestissement parental. Du point de vue darwinien, le succès dans la copulation ne signifie pas le succès dans la reproduction : outre que le mâle doit sassurer que la femelle reçoit ses spermatozoïdes et non ceux dun concurrent, il faut aussi que la descendance qui en résulte survive à son tour. Le succès reproductif dun individu est donc toujours la combinaison de deux processus distincts : la conquête du partenaire (temps et énergie dépensés pour séduire) et linvestissement parental (temps et énergie dépensés pour prendre soin de la descendance).
Comme dans le cas des stratégies [r] et K], chaque individu a le choix entre deux options optimales : investir dans la conquête dun maximum de partenaires ou dans le soin maximum à ses enfants. Cet investissement parental est bien sûr influencé par les capacités de reproduction de chaque sexe. Le sexe qui a le plus haut potentiel reproductif aura tendance à privilégier la recherche du plus grand nombre de partenaires, tandis que lautre sera porté à augmenter linvestissement parental. Ce schéma est dautant plus vrai que les soins des deux parents ne sont pas nécessaires à la survie des enfants.
La dissymétrie entre sexes commence avant même la procréation, lors de la formation des cellules reproductrices. La première différence entre la femelle et le mâle tient ainsi à linvestissement en énergie et en temps quils consentent pour développer leur gamète. Dans lespèce humaine comme chez la plupart des mammifères, lovule est gros et rare ; le spermatozoïde minuscule et abondant. Pour une dépense nutritive et énergétique équivalente, la femme produit un ovule par mois, lhomme plusieurs millions de spermatozoïdes par jour. Par ailleurs, la gestation interne et la lactation des mammifères demandent à la femelle des sacrifices que le mâle ignore.
Ces différences expliquent la manière dont les sexes envisagent laccouplement et les soins parentaux. On a ainsi montré que dans 95 % des espèces mammifères connues, les femelles soccupent des soins parentaux. Il est intéressant de noter que les primates (et la plupart des espèces carnivores) se singularisent par des soins paternels plus prononcés, présents dans 30 à 40 % des espèces - dont lhomme, bien sûr.
On comprend aisément que la polygamie et la monogamie humaines sinscrivent dans léventail des stratégies procréatives liées à linvestissement parental. La monogamie est le régime qui maximise cet investissement de la part des deux parents. La polygynie institutionnalise au contraire la stratégie sexuelle la plus favorable aux mâles dominants, qui consiste à multiplier les partenaires avec, toutefois, la contrainte dune plus importante recherche de ressources. La dominante de lhistoire de lespèce humaine est la polygamie de coutume, de droit ou de fait. Sur 849 cultures, 708 (83 %) tolèrent les relations sexuelles entre un homme et plusieurs femmes. 137 sont monogames et 4 sont polyandres, cest-à-dire autorisant la liaison dune femme avec plusieurs hommes. Même les sociétés socialement monogames (comme lOccident) présentent une forte proportion de polygamie sexuelle, cest-à-dire de rapports sexuels hors mariages ou multiconjugaux (divorce et remariage). On estime quentre 5 et 10 % des naissances sont adultérines.
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Au sein de lhumanité, tous les individus nont pas la même stratégie de reproduction, de manière consciente ou inconsciente. La principale différence est de nature cognitive : il a été montré quil existe dans nos sociétés une corrélation négative moyenne entre le QI et le taux de fécondité. Cela signifie que plus lintelligence est faible, plus lindividu tend à se reproduire. Ce différentiel tient sans doute à plusieurs facteurs comme la maîtrise plus difficile des pulsions sexuelles, le manque danticipation rationnelle, le manque déducation conduisant au non-usage du contraceptif, labsence dintérêt pour linvestissement qualitatif dans ses enfants. Le phénomène était inverse dans les sociétés traditionnelles ignorant la contraception : les classes dominantes, possédant plus de ressources, produisaient en général un plus grand nombre denfants viables que les autres.
Si lon regarde les deux derniers siècles dhistoire, il est évident que lHémisphère Nord a massivement choisi la stratégie [K] axée sur un faible nombre denfants et un fort investissement parental. En témoigne le phénomène de la transition démographique, qui a vu les baisses successives de la mortalité et de la natalité, associé à la modernisation technoscientifique, qui a considérablement accru la pression de la sélection cognitive sur les individus.
La question ouverte est cependant de savoir si cette stratégie sera possible à long terme. En tendance, les individus à faible QI ont une fertilité toujours plus forte que les individus à fort QI. De ce différentiel résulte un probable déclin de la part génétique de lintelligence déclin pour linstant compensé par le soin apporté à sa part environnementale, à travers lamélioration de la nutrition, la généralisation de léducation et la raréfaction des maladies infantiles débilitantes.
Mais à terme, le différentiel démographique posera un problème de fonctionnement aux sociétés technoscientifiques : celles-ci existent par un processus de créativité permanente fondée en large partie sur lintelligence. On imagine mal que le système fonctionne indéfiniment si la part la plus improductive du point de vue cognitif ne cesse de croître au détriment de la part créative. De ce point de vue, la politique migratoire des Etats-Unis est symptomatique : cette nation ne parvient à maintenir son niveau de puissance cognitive (donc : industrielle, militaire, culturelle, intellectuelle) quen absorbant régulièrement les chercheurs et ingénieurs du monde entier.
Le déclin cognitif et le différentiel reproductif seront deux thématiques dominantes du premier siècle de la Mutation.