Lutte pour la surexistence
Struggle for meta-life



Dans les sociétés industrialisées, tout le monde ou presque peut survivre et se reproduire. La lutte pour l'existence a donc cessé pour une partie de l'espèce humaine. Voici venu le temps de la lutte pour la surexistence : vivre et se surproduire.

Conseil Nocturne de la Mutation, 10 juillet de l’an II.

Jusqu’à une époque récente, l’humanité subissait comme toutes les autres espèces la lutte pour l’existence. Face aux aléas du milieu (maladies, famines) ou aux compétitions entre groupes (raids, guerres), certains survivaient, d’autres non. Cette situation s’est modifiée depuis deux siècles dans les sociétés industrialisées. Le progrès de la technique, de la médecine et de l’hygiène ont considérablement réduit la mortalité infantile. De sorte que presque tous les individus parviennent à l’âge fertile sans subir les formes classiques de la sélection naturelle. Dans le même temps, les politiques redistributives assurent un minimum vital très supérieur aux époques précédentes, même pour les plus pauvres. Il en résulte que chacun peut aussi se reproduire sans grand risque de voir périr sa descendance, d’autant que le système (formel) de monogamie augmente les chances des mâles de trouver un partenaire. Quant aux guerres, elles persistent mais sans effet sélectif précis : tous les hommes sont égaux sous une bombe.


Notre hypothèse est la suivante : la lutte pour l’existence est en train de laisser place à une forme inédite d’évolution sélective, la lutte pour la surexistence. Nous pouvons définir ainsi cette dernière : compétition entre individus (et entre groupes) en vue d’améliorer son potentiel biologique et celui de ses enfants. Il ne s’agit plus de survivre et de se reproduire (ce que tout le monde ou presque peut faire désormais), mais de vivre et de se surproduire, c’est-à-dire de corriger en soi les imperfections ayant filtré de la sélection naturelle.

Ainsi, la protection apportée aux individus dans les sociétés industrielles ne signifie pas la “ fin de l’évolution ”. Bien au contraire : le processus qui entrave la sélection naturelle se trouve être le même qui accélère la sélection artificielle, à savoir le progrès de nos connaissances objectives et de nos techniques opératives sur le vivant.

Lorsque nous définissons la surexistence comme une “ amélioration du potentiel biologique ”, nous avons à l’esprit les deux premières dimensions de l’autosélection : négative lorsqu’il s’agit de repérer et de combattre des tares et des maladies, positives lorsqu’il s’agit d’acquérir ou d’accroître des talents et des qualités. Cette volonté de préservation et d’amélioration - le “ souci de soi ” - a toujours été présente dans l’histoire : elle était même le mode normal de reproduction, conscient ou inconscient, de la plupart des aristocraties.

La différence essentielle apparue au cours du XXe siècle est que ce processus d’optimisation ne provient plus seulement du milieu (diète, hygiène, éducation, etc.) ou du choix de conjoint (appariement assorti), mais aussi du matériau biologique lui-même, de notre propre corps en ses constituants intimes. A mesure que nous identifions les innombrables variations des gènes et de leurs produits (ARN, peptides, protéines, etc.), à mesure que nous évaluons l’influence directe ou indirecte de ces variations sur nos traits physiques, psychologiques et comportementaux, nous nous plaçons dans la possibilité d’un choix tout à fait nouveau : modifier les cellules de notre corps (somatiques) et/ou de notre lignée (germinales) dans une direction désirable. Il en va de même, sur un autre plan, pour les excroissances somatiques issues des nanotechnologies : gènes, neurones, chromosomes et organes artificiels sont d’ores et déjà à l’étude dans les laboratoire.

La surexistence par autosélection négative est la continuation de l’ancienne médecine curative vers des dimensions prédictives (prévoir la maladie), régénératives (remplacer des tissus sains ayant vieilli) ou correctives (éliminer l’origine de la pathologie). En revanche, la surexistence par acquisition de traits positifs apporte une dimension originale : elle permettra à chacun de tendre vers son idéal de beauté, d’intelligence, de créativité, de puissance, de longévité. Le processus est déjà engagé dans certains secteurs précis, comme les compétitions sportives (optimisation hormonale de la masse musculaire aujourd’hui, optimisation génétique demain) ou les manipulations esthétiques (rajeunissement protéique et mécanique des tissus aujourd’hui, rajeunissement génétique demain). Nous avions l’habitude de projeter et de contempler notre type idéal d’humanité dans l’art : nous sommes conviés à devenir les artistes de notre propre destin, avec notre corps pour matériau.

Mais pourquoi la surexistence ainsi définie serait-elle l’objet d’une lutte, c’est-à-dire d’une compétition ? Dans le domaine évolutif, on parle de compétition lorsque des comportements entrent en conflit, lorsque certaines ressources sont trop rares pour les populations, lorsqu’il existe des différentiels d’adaptation entre individus. Ces trois terrains de lutte concernent la surexistence.

La lutte existe d’abord sur le plan des comportements mentaux, en l’occurrence des représentations de l’homme. Bon nombre de religions, d’idéologies ou de morales issues de l’ère néolithique défendent une position conservatrice en ce domaine, sanctifient l’intégrité du corps humain et entendent enfermer à jamais les Homo sapiens dans les limites actuelles de leur espèce. Leurs arguments ne valent bien sûr qu’en mesure de l’autorité métaphysique qui les fonde (Dieu, la Nature, la Dignité humaine et autres inventions plus ou moins bizarres). Il faut ainsi interpréter comme une lutte dissimulée les manœuvres actuelles d’infiltration de la bio-éthique par divers prêtres et idéologues sectaires. A travers l’interdiction du clonage reproductif, de la thérapie génique germinale, de la fabrication de cellules-souches, de la généralisation des tests génétiques au-delà des maladies, du choix des gamètes, leur objectif est de combattre la possibilité concrète de la surexistence. Voire de criminaliser son simple désir. Quoi de plus normal : un certain type humain défend ainsi son territoire de domination, chèrement acquis au cours des siècles passés.

La lutte existe ensuite, de manière bien plus prosaïque, sur le plan des ressources. La surexistence est un horizon ouvert par la technoscience et celle-ci demande des investissements considérables sur le plan financier et cognitif. Le rapport 1999 de l’OMS, qui faisait le bilan de l’évolution de la santé au XXe siècle, avait noté ce point : il existe un effet d’entraînement circulaire entre la production et l’utilisation de connaissances, la productivité économique, le revenu moyen par habitant et l’augmentation des dépenses de santé. Toutes les sociétés ne peuvent y parvenir aujourd’hui, bon nombre d’entre elles ayant déjà des difficultés à gérer la simple existence de leurs sujets. La lutte concerne ici l’allocation des ressources : soit on tend à faire profiter toute la planète d’un minimum vital, soit on tend à concentrer les efforts sur les secteurs les plus avancés. Il en ira de même pour les individus désireux de pratiquer l’autosélection, au moins à titre transitoire. Pendant une ou deux générations, l’usage des biotechnologies d’amélioration de soi sera ainsi réservé aux plus fortunés ou, pour être exact, à ceux qui consentiront des sacrifices économiques importants en sélectionnant parmi les ressources disponibles. Certains n’y verront pas d’intérêt et préféreront investir dans les plaisirs de la simple existence. D’autres, au contraire, se consacreront au projet de la surexistence. Ce différentiel de comportement commencera à avoir des effets évolutifs lorsque sera acquis le principe de la correction germinale, c’est-à-dire lorsque l’investissement parental s’accumulera dans une lignée à travers ses gamètes modifiés.

La lutte existe enfin, à un niveau plus fondamental, au sein de l’espèce humaine. En termes nietzschéens, nous pourrions dire qu’elle oppose le type grégaire au type aristocratique, au-delà ou en-deçà des anciennes divisions de l’humanité (cultures, nationalités, races). En utilisant des mots moins grandiloquents, disons simplement que tous les individus n’ont pas nécessairement le même idéal de surexistence ni, surtout, le même courage, la même ténacité et la même volonté pour tendre vers cet idéal en vue de le transformer en réalité. Une bonne partie prospère dans la moyenne et n’entend pas s’en écarter – les plus agressifs, c’est-à-dire les bergers égalitaristes du troupeau, entendant même ramener tout le monde vers cette moyenne. L’égalité et la différence étaient déjà des motifs immémoriaux de conflit lorsqu’elles se situaient sur le plan symbolique. Leur transfert sur le plan biologique promet de démultiplier la charge explosive. Ce constat revient à dire qu’il existe déjà dans l’humanité actuelle un type psychobiologique Mutant (celui qui conçoit et désire la surexistence) et un type psychobiologique Stagnant (celui qui ne la conçoit ou ne la désire pas).

Voilà pourquoi la surexistence sera une lutte.

Son enjeu et son issue dépassent toutes les luttes antérieures : l’avènement du plus-qu’humain, dont les Mutants forment dès aujourd’hui la matrice.

 


--------------------------------------------------------------------------------

 

10 questions pour les sceptiques

La première réaction à l’annonce de la lutte pour la surexistence sera souvent le scepticisme radical : cette lutte n’existe pas, pour la simple raison que son objet est utopique ou fantasmatique. Voici dix questions simples pour les sceptiques. Elles concernent les réalités présentes.

1. Est-il exact qu’un million de bébés sont nés de la procréation artificielle en l’espace de 24 ans (1978-2002) ?

2. Est-il exact que le premier mammifère cloné de l’histoire est né en 1997, qu’une douzaine d’espèces ont suivi en cinq ans et que plusieurs laboratoires travaillent déjà à cloner l’homme ?

3. Est-il exact que l’Association française contre les myopathies a réussi en 2002 à séquencer 500.000 protéines humaines en quelques semaines, grâce à 70.000 ordinateurs personnels en réseau, ce qui aurait demander 1.000 ans à un seul ordinateur ?

4. Est-il exact que plusieurs laboratoires travaillent aujourd’hui au séquençage du génome du chimpanzé, dans le but notamment d’identifier les gènes définissant l’humanité de l’homme par rapport à ses plus proches cousins primates ?

5. Est-il exact que les biopuces permettent déjà d’observer chez certains animaux l’expression simultanée de la quasi-totalité du génome nucléaire dans une cellule ?

6. Est-il exact que les premiers bébés génétiquement modifiés sont nés en 2000 ?

7. Est-il exact que le premier bébé sélectionné pour ses caractéristiques génétiques par diagnostic pré-implantatoire est né en 2001 ?

8. Est-il exact que plusieurs centaines de laboratoires dans le monde travaillent à modéliser les comportements complexes, et cela de manière intégrative, depuis les variantes du même gène jusqu’aux variations du milieu en passant par l’épigenèse du cerveau ?

9. Est-il exact que les chercheurs ont récemment identifié une protéine directement impliquée dans la croissance du cortex cérébral, la bêta-caténine ?

10. Est-il exact que les chercheurs maîtrisent déjà, chez certains modèles animaux, l’expression des gènes impliqués dans le maintien ou la croissance de la masse musculaire ?

Les dix bonnes réponses sont bien sûr : oui. Alors, précieux amis du doute, êtes-vous toujours aussi certains que la Mutation est une utopie ? Ou concevez-vous qu’elle se situe à la convergence des actuelles avancées technoscientifiques, d’ici 10, 20 ou 30 ans ?

Tous les jours, la Mutaliste vous informe des progrès en cours dans les domaines les plus variés (génétique, biotech, neurobiologie, évolution, etc.). Vous n’êtes pas inscrit(e) ? C’est le moment !

 

--------------------------------------------------------------------------------

 

Milieux scientifiques et médicaux : dits et non-dits

Certaines sceptiques coriaces ne se laisseront pas désarmer et iront interroger des médecins ou des scientifiques sur les perspectives de la Mutation. La plupart répondront : “ Mais non, mais non, cela relève de la science-fiction… Le vivant est beaucoup plus complexe qu’on l’imagine… Il faudra beaucoup de temps… Nous en savons encore si peu… ”.

Pourquoi cette réserve ? Il existe au moins quatre raisons à cela.

1. La plupart des scientifiques travaillent dans des institutions étatiques ou privées qui surveillent étroitement leur image, pour des raisons différentes (opinion publique, actionnaires et clients). L’originalité est interdite, la provocation punie de mort (sociale et économique). Le mot d’ordre est clair : plus vous travaillez sur des domaines “ chauds ”, plus votre discours doit caresser dans le sens du poil humano-humaniste.

2. La recherche fondamentale et la recherche appliquée n’obéissent pas aux mêmes lois de progrès. Maîtriser parfaitement le fonctionnement du vivant sur le plan théorique demandera certainement des dizaines de générations de chercheurs. Mais tel n’est pas l’enjeu : Pasteur a vacciné le jeune Joseph Meistre contre la rage sans rien connaître (ou presque) de la cytologie infectieuse. Contrairement à ce que l’on pense, la biologie appliquée progresse par bricolage, avec des coups de génie (comme le vaccin de Pasteur ou le clonage de Dolly) que l’on explique après coup.

3. Dans les démocraties soumises à la transparence de l’information et à la pression médiatique-majoritaire, il existe un fossé croissant entre ce qui se dit et ce qui se fait. Deux exemples : bon nombre de services hospitaliers de gynécologie-obstétrique ont pratiqué des infanticides pour cause de malformations graves (avant le développement de l’imagerie prénatale), mais personne ne le dira ; bon nombre de service de soins intensifs, de réanimation ou de soins palliatifs pratiquent aujourd’hui l’euthanasie active (légère surdose de morphine), mais personne ne le dira.

4. Le scientifique en carrière, comme le médecin en exercice, doit défendre sa crédibilité, dont dépendent considération, confiance et budgets. Ils parlent donc de ce qu’ils savent avec certitude, en minimisant les extrapolations. Cette réserve (tout à fait compréhensible, et même saine du strict point de vue scientifique) ne les empêche pas d’avoir une petite idée sur l’avenir. Mais ils ne livrent pas facilement ce jardin secret.